Chapitre X

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Pauline sursauta lorsqu'elle réintégra son corps. Ses yeux papillonèrent un instant, et une migraine lui vrilla le crâne.

Totalement désorientée, elle s'agita brutalement sur son siège et bouscula Maïssa. Il appuya de toutes ses forces sur la pédale de frein, et la voiture pila. Pauline fut propulsée vers l'avant, étouffant un petit cri de douleur lorsque la ceinture de sécurité lui compressa la poitrine.

Un crissement, et la voiture était stabilisée. Ils retombèrent brusquement contre leurs sièges. Pauline interrogea son frère du regard ; il se contenta de la toiser d'un œil inquiet.

Elle cligna des yeux, engourdie par le sommeil. La main de Maïssa était posée sur son bras gauche, lui divulguant une chaleur qui la mit mal à l'aise.
Il sentit les yeux réprobateurs de sa sœur sur son bras.

- Tu avais l'air agitée, expliqua-t-il, et j'ai posé ma main sur toi pour t'apaiser de mon mieux. Mais tu t'es réveillée, et en grande pompe ! J'ai été surpris. Désolé. 

Il semblait sincèrement frustré et mécontent de lui. Sa mâchoire se crispait comme il la regardait en coin, et il détournait aussitôt la tête en serrant les lèvres.
Pauline pensa au rêve qui l'avait conduite jusque dans une forêt vierge digne de la Scandinavie. Un jeune homme - Daniel, le fameux - l'avait retrouvée là-bas, afin de... de quoi, déjà ? 

Elle fronça les sourcils et réfléchit. Elle se souvenait.. Il l'avait réconfortée, et rassurée quant à son arrivée en territoire inconnu.
Elle se redressa sur le siège en baillant. Elle s'étira tant bien que mal et assura :

- Tout va bien. On arrive bientôt ?

- Dix minutes.

Elle jeta un coup d'oeil à l'horloge. Dix-huit heures trente... Estomaquée, elle calcula rapidement le temps qu'elle avait passé à dormir.

Elle regarda par la fenêtre. Déjà le ciel se parait de lueurs orangées et rosées, et les nuages filiformes réfléchissaient des couleurs douces par traînées scintillantes. Elle en resta coite quelques instants.
La voix de Maïssa la sortit de sa rêverie.

- Kleia ? Ça va ?

Sa voix était toujours teintée d'inquiétude et de curiosité. Pauline se tourna vers lui. Sa main puissante était restée posée sur son bras.
Elle cherchait encore ses mots ; son mal de tête entravait ses pensée. Elle secoua la tête et cligna des yeux, puis répondit en essayant de garder une voix chaleureuse :

- Ça va... Il me faut juste un peu de temps pour émerger. Mais ça va, répéta-t-elle avec un sourire timide. 

Elle doutait de l'avoir convaincu. Elle sentait que son regard dérivait toujours, entre douleur et égarement. Mais elle devait cacher à Maïssa son entrevue avec Daniel. Elle ne pensait pas vraiment pouvoir le protéger, mais si elle pouvait quelque chose, elle s'y vouerait corps et âme. 

Pour lors elle détourna le regard sur le paysage qui défilait rapidement derrière la fenêtre et s'y laissa absorber. Un silence gêné s'installa peu à peu dans l'habitacle.

La voiture ralentit quelques minutes plus tard. Pauline leva un regard curieux vers le pare-brise ; ils étaient arrêtés devant un grand portail en fer forgé. 

Son regard se perdait dans les arabesques dorées que décrivaient les fins barreaux sur leur partie supérieure. Des aiguilles élancées, qui émergeaient du mince contour métallique, pointaient le ciel d'un cyan presque flamboyant. 

Soudain, un poids féroce écrasa sa poitrine. Le lieu l'opprimait de ses allures vénérables et opulentes.
Les portes de la voiture s'ouvrirent lentement. Elle avait besoin d'air.
Elle descendit et franchit le portail à pieds. Elle s'arrêta sur l'herbe, quelques pas plus loin.
Maïssa arrêta la voiture dans l'allée de gravier et se dirigea vers Pauline. Elle était campée au milieu du chemin sondait les lieux de son regard puissant. 

Il suivit par ses yeux son examen des alentours. Son regard longea le chemin, bordé de haies denses à partir de cinq mètres derrière le portail, et coula sur les jardins colorés de part et d'autre du bâtiment principal. Les haies s'arrêtaient où l'allée de gravier blanc s'élargissait, jusqu'à former un cercle net d'une dizaine de mètres de largeur, au centre duquel trônait une haute fontaine de grès sculptée en bas relief. Bordant le terrain couvert d'un gazon aux teintes criardes, des rangées de bâtiments parallèles à l'allée principale semblaient d'anciennes écuries réaménagées en salles de séjour. A l'extrémité qui donnait à l'autre bout de la propriété, un petit poulailler de pierre blanche s'ouvrait sur la cour. La dizaine de poulets colorés picorait avec nonchalance, vagabondant entre des étudiants assis en tailleurs sur le sol verdoyant. Ses yeux glissèrent sur les allées latérales qui menaient à la fontaine, quinze mètres derrière laquelle trônait le parvis d'un manoir d'une noblesse qui l'étouffait. 

KleïaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant