Chapitre IX

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Pauline était assise sur le siège passager, elle faisait mine de regarder négligemment par la fenêtre. Son esprit était torturé de milliers de questions, qu'elle n'osait poser, et il lui semblait que son frère ressentait son désarroi.

Alors, pour s'empêcher de réfléchir, elle sortit de sa poche une vieille paire d'écouteurs qu'elle brancha qu'elle brancha sur son téléphone. Elle les enfonça dans ses oreilles, monta le son à fond et lança du Noir Désir. Elle enfouit son nez dans l'écharpe de sa mère, imprégnée de son parfum rassurant; elle laissa son esprit voguer, et sembla finir par s'endormir.

Elle était plongé dans le sommeil ; c'était une certitude. Sinon, comment aurait-elle été dans dans une forêt fraîche et luxuriante debout pieds nus dans une herbe humide, sa musique résonnant dans le lointain. Les arbres étaient fins et espacés. Des perles de rosée mouillaient l'écorce rougeâtre ; lorsqu'elle en cueillit une goutte, un parfum délicat se répandit autour d'elle.

Un craquement retentit derrière elle. Elle se retourna brusquement; il y avait quelqu'un. Elle sursauta ; son dos heurta le bois humide. Elle leva les yeux vers l'homme, qui ne lui sembla finalement pas beaucoup plus âgé qu'elle. Il ne lui apparaissait pas spécialement beau, mais son visage exprimait une bienveillance et une douceur indéfinissables. Un sourire attendri étirait ses lèvres pleines, et malgré ses réticences habituelles à s'offrir à autrui, elle lui accorda immédiatement une confiance aveugle.

Elle devait se réveiller. Elle ne le connaissait même pas, et il semblait la manipuler.

Un léger vent souffla, agitant ses cheveux noirs aux reflets bleutés. Alors, elle reconnut ce visage harmonieux... Daniel.

Elle se retourna regarda entre les arbres s'attendant à voir surgir, comme toujours, les hommes qui l'assassineraient. Mais rien ne vint. Le bois resta silencieux, et la musique qui résonnait au loin continuait sa course calme.

Elle pivota à nouveau vers lui.

- Daniel, n'est-ce pas ? Je suis...

- Je sais qui tu es, Kleia, la coupa-t-il avec un sourire. Mais pourquoi te rapproches-tu de Paris ?

- Mon frère est directeur d'une école, et il semblerait qu'il m'y emmène. Je vais rester là-bas. Elle se montrait un peu plus sèche qu'elle ne l'aurait voulu. Elle allait se justifier, mais l'horreur décomposa les traits de son interlocuteur.

- Quoi ? demanda-t-elle.

- Tu as rencontré M. Réis ! s'écria-t-il

Elle n'hésita pas à lui répondre sincèrement.

-Je suis dans sa voiture, et je me suis endormie. D'où ta présence, j'imagine.

Il lui jeta un regard surpris.

- Que veux-tu dire par là ?

- Je te vois souvent en rêve... Je pensais que c'était de ton fait.

- Aujourd'hui, oui. Mais je n'ai jamais cherché à te contacter, ou je ne m'en souviens pas.

- Pourtant on dirait que mon subconscient t'a convoqué de lui-même.

Il partit d'un éclat de rire et répondit.

- Je ne suis pas le fruit de ton subconscient, je suis aussi réel que toi. C'est moi qui t'ai amenée ici. Mais comment est-ce que tu connais mon nom ?

Elle ne répondit pas. Elle réfléchissait. Qui était-il ? Comme son rêve était toujours le même, elle ne s'était jamais interrogée sur ce jeune homme. Pourtant, elle connaissait son nom, et pour la première fois, son rêve avait changé. Il disait la connaître.

Elle restait convaincue qu'elle rêvait, et que le choc lié à sa nouvelle vie lui faisait imaginer des liens entre ses rêves et la particularité de ce frère retrouvé.

Comme elle ne réagissait pas, il continua :

- Mais revenons aux choses sérieuses. Ton...Frère, Maïssa, t'emmène étudier dans son école ?

Elle sortit de sa torpeur. Il avait dit quelque chose ? Elle eut quelques secondes de battement, puis répondit.

- Hum. Oui.

- Seulement maintenant ? s'enquit-il. Quelque chose a changé ?

-Mes parents sont morts, lâcha-t-elle.

Enfin. Elle prononçait ces mots pour la première fois, et la douleur fondit sur elle à une vitesse vertigineuse. Un goût âcre lui restait dans la bouche, accompagné d'une souffrance poignante qui lui broyait les tripes. Elle tomba assise, les jambes repliées, ses bras enserrant ses genoux. Un flot de larmes ruissela sur ses joues rebondies, mouillant son jean au niveau de ses genoux.

Daniel lui avait tourné le dos.

- Je... Je l'ignorais. Pardonne-moi.

Comment aurait-il pu savoir ? Elle s'efforça à lui sourire. Mais ici, caché de tous et loin de tout, elle lâcha prise. Les larmes strièrent ses joues rougies. Elle sanglota ainsi quelques instants.

Quel piètre tableau elle devait offrir... Mais quelle importance, puisqu'il n'existait pas ?

Il s'était figé.

Il s'agenouilla devant elle et l'attira vers lui. Elle le repoussa par réflexe, mais elle manquait de force et ne résista pas bien longtemps. Il la serra contre lui de toute ses forces, et elle s'agrippa à son polo doux, pleurant tout son saoul.

Il la laissa évacuer un moment, pensif. Il n'avait jamais bien su réconforter qui que soit ; il se sentit flatté lorsque les pleurs se turent et qu'elle resta blottie contre lui. Il était peut-être plus efficace qu'il ne l'aurait cru.

Mais cela ne répondait pas à sa question. Comment étaient-ils morts, et que lui avait-on raconté ?

Quand il fut sûr que la crise de larmes était passée, il attrapa le visage de Pauline et le releva vers lui. Il allait l'interroger, mais lorsqu'il croisa son regard infiniment triste, il jugea préférable de la ménager pour l'heure. Il posa ses doigts le long de sa mâchoire et traça négligemment de petits cercles sur sa joue.

Surprise Pauline le regarda et confronta son regard au sien. Ces yeux ambrés ne reflétaient aucune pitié, seulement de la tendresse, du regret, de la compassion et peut-être un peu de culpabilité.

Elle se recula légèrement et déclara, d'une voix rauque et enrouée:

- Merci.

Daniel eut un sourire sincère et l'aida à se relever.

Il fronça les sourcils et regarda le ciel.

- Le temps presse, et je ne t'ai encore rien dit... Écoute-moi bien. Ne parle pas de moi à Maïssa, ni de la profonde tristesse que te cause la mort de tes parents. Si jamais tu me croises ailleurs que dans ces rêves étranges, fais comme si tu ne m'avais jamais vu, quel que soit le contexte. Tu ne devrais pas tarder à te réveiller.

Il cligna des yeux d'un air absent.

-On se revoit bientôt.

Il lui adressa un clin d'œil et s'effaça. Même si elle ne l'admettrait jamais, ça lui avait fait physiquement mal de le voir partir.

Juste avant de disparaître à son tour, elle sentit un genre de fine aiguille s'immiscer dans son crâne, et quelque chose de chaud se poser sur son bras. Pourtant, lorsqu'elle baissa la tête, elle ne vit rien.

Une douleur lancinante lui vrilla le crâne. Elle fut coupée de ce monde étrange et se sentit réintégrer son corps engourdi avec violence.


KleïaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant