2. Indifférence

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Un cri en provenance du rez-de-chaussée sortit Japet et Ocean de leur bulle. Les deux adolescents étaient vautrés dans les fauteuils de la salle multimédia de Japet et luttaient avec acharnement l'un contre l'autre. Japet, chanceux qu'il était avec des parents en plein divorce, était particulièrement gâté ces-derniers temps. Sa mère, partie avec son amant du moment trois ans plus tôt, lui envoyait régulièrement des cadeaux d'exception, pour s'offrir une conscience et nier la cruelle vérité. Il avait ainsi reçu le matin même le nouvel opus de l'un des jeux de guerre les plus attendus de l'année, deux mois avant l'avant-première mondiale. Il avait par conséquent invité son meilleur pote Ocean  et ils s'étaient fait une journée jeux, boissons énergisantes et chips. Demain ils devraient perdre toute la graisse accumulée mais pour l'heure ils s'en moquaient éperdument.

— Japet ! cria une fois encore monsieur Wilson, son père, descends !

Mort pour la quarante-deuxième fois de la journée, Ocean jeta l'éponge et la manette. Il se rendait à l'évidence : il avait eu sa dose de jeu pour la journée, ou la semaine. Il passa une main dans ses cheveux fous et s'avoua vaincu. Japet leva les bras en signe de victoire puis s'extirpa du large fauteuil en cuir qui l'avait accueilli toute la journée. Le mouvement lui arracha quelques gémissements de douleur.

— J'ai des crampes partout, il me faut un massage, déclara l'adolescent. Tu crois que le club est encore ouvert ? demanda-t-il en jetant un coup d'œil vers l'horloge de métal qui indiquait vingt heures passées.

Le club auquel il faisait référence était le Darkwoods Country Club, l'un des établissements très sélectifs et très onéreux de la région. Japet en était membre, simple membre et non  premium comme Ocean, car son père en était le directeur. C'était d'ailleurs au club que les deux adolescents s'étaient rencontrés des années plus tôt. Ce jour-là Japet fit sauter toute l'électricité du complexe, dans ses oreilles résonnaient encore les hurlements hystériques des usagers des cabines à UV.

— Je ne sais pas s'il fait nocturne le lundi, répondit son ami en se levant. Il faudra attendre demain je pense.

— Oh non, moi qui rêvais des mains de Katie, soupira le jeune homme dépité, elle n'a pas son pareil pour faire disparaître tous les nœuds de mon corps. Je t'ai dit qu'elle m'avait fait une déclaration la dernière fois ? Ocean répondit par la négative. Apparemment je lui lançais des signes depuis des semaines. Je suis irrésistible, voilà tout.

L'autre ricana, Japet faisant des avances à une fille ce serait bien une première, et ils descendirent tous les deux.

Le père de Japet était dans le salon, assis sur le canapé et une bouteille de bière à la main. Veste ôtée, cravate dénouée et premier bouton de chemise défait, il revenait tout juste d'une longue journée. Face à lui l'écran de la télévision clignotait, alternant le bleu et le rouge caractéristiques des voitures de polices. Lorsque son fils arriva en compagnie de son ami il se leva et toisa son rejeton du regard.

— Bonsoir Ocean, salua-t-il chaleureusement l'adolescent qui lui tendit la main en arrivant près de de lui, je ne savais pas que tu étais là, enfin, j'aurais dû me douter que Japet n'avait pas fait cela tout seul.

— La moitié des profs sont absents aujourd'hui, tenta Japet pour se justifier, on avait que des cours sans intérêts...

— Vous n'êtes pas dans le même établissement.

Quelle que soit l'excuse inventée par le duo pour sécher les cours, enseignant malade, dératisation, ...,  les deux adolescents se retrouvaient toujours confrontés à ce même fichu problème. Japet allait au lycée public de Darkwoods tandis qu'Ocean allait en cours à Saint-Peter, l'établissement privé joyeusement inondé de donations des parents et anciens élèves. Dans le cas présent, l'absentéisme à outrance des professeurs était potentiellement crédible pour le lycée public mais, jamais Saint-Peter ne laisserait ses élèves manquer une classe et avait toujours des remplaçants disponibles. Il en allait de la réputation de l'institut.

NemesisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant