9. Le manoir biscornu

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Le fantôme, atroce chose fumeuse sans corps, leur fonçait dessus. Japet, Ocean et Thétys hurlaient comme des damnés. Les trois adolescents dévalèrent l'escalier, ils se ruèrent vers le hall principal et la porte d'entrée mais derrière eux des injonctions retentirent.

— Ne le laissez pas sortir !

Thétys, la moins rapide des trois, tourna la tête pour constater avec horreur que l'ectoplasme était toujours à ses trousses. Son corps suivi le mouvement de chef et elle trébucha à moitié avant de ses retrouver face au fantôme. Aussi pâle que lui elle leva le tisonnier qu'elle tenait et s'apprêta à le frapper mais celui-ci disparut dans une explosion soudaine de fumée.

— Je l'ai eu ! déclara avec satisfaction Charlotte tandis qu'elle apparaissait derrière le nuage. Ah cela faisait longtemps que je n'avais pas chassé l'esprit vengeur. Les fantômes de New-York sont si pathétiques, ils n'ont aucune volonté, aucune force.
— Ma, maman ? murmura sa fille. Comment as-tu tué ce truc ?
— C'est plus simple que cela en a l'air ma chérie, répondit Charlotte comme si elle expliquait sa recette de pudding. Cela le sera d'autant plus pour toi d'ailleurs si tes pouvoirs sont bien ce que j'imagine. Il suffit de l'immobiliser avec un peu de limaille puis tu le fais exploser. Ils t'envoient quelques objets à la figure, hurlent, mais avec un peu d'entraînement tu t'en sors.


— Et vos hurlements ? demanda Japet qui les avaient rejointes, encore effrayé par l'expérience.
— Certains fantômes hurlent leur peine, ou leur colère, répondit Thomas Hills qui prenait son fils par les épaules, tu me déçois un peu fils. Celui-là était coléreux, reprit-il à l'attention des jeunes, il cherchait à nous amoindrir en nous effrayant. Nous avons appliqué la même méthode.

L'homme serra son fils dans ses bras puis offrit la même étreinte à Japet avant de vivement réprimander les adolescents pour s'être aventurés ainsi dans la maison.

— Je pensais vous avoir donné un ordre, ne pas venir ici. A l'évidence vous n'êtes pas prêts pour affronter ce monde, il est dangereux.

Ce n'était pas peu dire, la maison témoignait des horreurs qu'il pouvait exister dans ce royaume caché aux yeux du commun des mortels. Des bruits résonnaient dans les étages, d'atroces bruits. La maison toute entière semblait en guerre contre ses habitants nébuleux.

— Elle n'est vraiment pas contente, constata Charlotte tandis qu'elle caressait une colonne en bois précieux. Voilà trop longtemps que le mal a réussi à pénétrer dans ces murs. C'est bientôt fini, ne t'inquiète pas.

Thétys en pleura presque : sa mère parlait à la maison, en plus d'être hanté le lieu était vivant. Quand le cauchemar allait-il s'arrêter ?

— Tu raccompagnes les gamins ou je m'en charge ? demanda Thomas à Charlotte. Les autres ont encore besoin d'aide. Nous aurions d'ailleurs bien besoin de la confrérie.
— Il n'y a presque plus de fantômes, rétorqua Charlotte. Ceux que nous n'avons pas tués ou capturés sont coriaces mais peu nombreux. Et puis tu connais la confrérie, nous allons devoir faire un rapport et je ne serais pas étonnée s'ils nous taxaient au passage, ce sont des individus si avides.
— La confrérie nous rend de nombreux services, tu devrais vraiment cotiser, ne serait-ce que pour Thétys.

Charlotte balaya l'information d'un geste de la main et déclara que les jeunes pourraient très bien rentrer seuls.


— Pas question ! s'énerva Japet, depuis que j'ai seize ans mon père me parle de fantômes, de monstres à combattre, de sorciers maléfiques et d'horribles cauchemars mais refuse systématiquement de m'en montrer ne serait-ce qu'un. Sommes-nous censés attendre que l'on vienne nous tuer ou allons-nous enfin avoir droit à un cours pratique ?
— Ce qui sous-entend que tu as déjà appris la théorie, dit Thomas, ce qui n'est pas mal étant donné que tu n'es adulte que depuis quelques mois. Bien je t'en prie, il en reste un dans le piano du salon je te le laisse.

L'homme désigne la pièce de la main et l'invite à s'y rendre. Japet prend une grande bouffée d'air et, terrifié, fait un pas en avant, puis un second. Il marche d'un pas décidé vers le salon, les poings serrés. S'il ne leur tournait pas le dos, les autres auraient pu voir son air terrifié. Il tenait toujours un tisonnier, arme qui lui semblait bien inutile en cet instant. Il lui manquait une dizaine de flingues, de l'eau bénite et toutes les armes du monde. 

Le père d'Ocean lui demanda s'il était sûr de lui, Japet ne répondit pas. Thomas insista, en vain. Charlotte leva les yeux au ciel et grommela quelque chose à propos d'une fierté masculine mal placée et rattrapa l'adolescent sur le pas de la porte.


— Tu n'es pas prêt Japet, dit-elle en se plaçant devant lui.

L'adolescent allait lui répondre lorsque la mère de Thétys s'envola et fut projetée contre un mur. Elle s'effondra sur une commode qui céda sous son poids. Thétys courut auprès de sa mère et l'appelant alors que Thomas rabattait d'un geste le couvercle du piano sur son occupant. Japet fit jaillir une lumière si forte des lampes qu'elle détourna l'attention de l'ectoplasme le temps d'un instant. 

Digne fils de son père, Ocean concentra son attention sur le lustre situé au-dessus d'eux et l'envoya sur le fantôme caché. Les cristaux explosèrent en mille morceaux et reflétèrent la lumière présente en autant d'éclats. Le fantôme hurla pour la dernière fois et disparut lorsque Charlotte l'envoya retrouver ses ancêtres.


— On commence à en voir le bout, annonça-t-elle satisfaite. Et maintenant, ajouta-t-elle en se tournant vers les plus jeunes, vous trois retournez chez Ocean. Vous voulez apprendre ? Vous apprendrez, mais pas maintenant.

Les deux adultes ramenèrent les adolescents à la porte et veillèrent à ce qu'aucun fantôme ne les suive au-dehors. Tous trois montèrent dans la voiture en silence, Ocean au volant, et firent le trajet de retour sans piper mot.

Lorsqu'enfin ils furent arrivés, Ocean coupa le contact mais ne bougea pas pour autant, ni lui ni les autres. Ils restèrent ainsi quelques minutes, murés dans un silence qui devenait de plus en plus pesant. Finalement Ocean soupira.


— Je suis désolé mec, je suis le dernier des lâches.

Il l'était sincèrement, jamais il ne se serait imaginé d'une telle lâcheté.

— De quoi tu parles ?
— T'es allé affronter ce fantôme et je ne t'ai pas suivi, j'aurais dû venir avec toi et protéger tes arrières. Je suis resté planqué sous les jupes de mon père. Jamais j'aurais cru que...
— Que t'avais un instinct de survie ? répondit Japet. Si je n'étais pas aussi con je n'aurais jamais fait un pas vers ce fichu fantôme. Maudit caractère compétitif ! Ton père m'a mis au défi, tu sais bien que je ne réfléchis jamais quand on me met au défi.
— En tout cas vous avez sauvé ma mère et je vous en remercie, déclara Thétys en sortant du véhicule.
— On n'a pas sauvé ta mère, rétorqua Ocean.
— Allons, je t'ai vu balancer ce lustre. Et Japet a distrait le fantôme avec son don.

Ils pouvaient dire ce qu'ils voulaient, il venait de se passer quelque chose, une amitié se forgeait.

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