4. Revanche

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Sinistre, l'endroit dans lequel la police les avait conduits était lugubre et effrayant à souhait. Une voiture resterait devant leur entrée, tant pour leur protection que pour les surveiller, mais Thétys avait l'impression que le danger ne viendrait pas d'au-dehors. Ils avaient franchi un immense portail en fer forgé, seul passage à travers les hauts murs de pierre colonisés par la verdure, et pénétré sur un vaste domaine en friche. Ce qui fut certainement une belle pelouse n'était plus qu'un champ d'herbes rebelles balayées par les vents marins.

Mais le pire était très certainement la demeure, imposante et froide. Les fenêtres étaient bardées par des planches et la façade écaillée n'avait pas été entretenue depuis longtemps. Même les policiers se sentirent mal à l'aise en descendant de leur voiture. Personne ne venait là depuis que l'ancienne propriétaire était décédée. Et elle ne s'était pas occupée des lieux de son vivant.

Thétys gravit les marches qui menèrent à l'entrée avec beaucoup d'appréhension. La nuit fraîche et humide ainsi que la brume montant du large créaient une atmosphère digne des meilleurs films d'horreur. Elle en frissonnait de peur. Il y avait d'abord eu le cadavre dans les bois et maintenant cela. C'était un peu trop pour ses nerfs alors elle se remit à pleurer silencieusement.

Le manoir colonial était sombre à l'intérieur, Charlotte trouva le boitier électrique et l'activa mais la plupart des ampoules étaient cassées et celles qui étaient intactes n'éclairaient plus très bien. Les lieux étaient le royaume de la poussière qui s'étalait en couches épaisses dans toutes les pièces. Les meubles qui étaient demeurés sur place étaient recouverts de linges blancs. Les grandes pièces de tissus parurent toutes la cachette idéale pour dissimuler un squelette, un fantôme ou un tueur en série. Non, Thétys ne s'y sentait pas bien du tout, et son père non plus.

— Pourquoi tu as acheté cette horreur Charlotte ? Je sais que nous sommes partis précipitamment mais je pensais que nous aurions séjourné à l'hôtel si les recherches de logement s'étaient avérées infructueuses...

Son épouse, dont le bruit des escarpins sur le sol se répercutait sur les murs de la grande entrée, s'avança jusqu'au centre de la pièce, la conquit d'un large regard circulaire, puis elle étira un sourire victorieux.

— Ai-je oublié de le mentionner ? Pour reprendre ce qui nous appartient ! Cette demeure fut construite par ma famille.

— Diantre ! répondit son mari. Ne m'avais-tu pas dit que ta famille venait de Détroit ?

— Si, ma grand-mère a migré là-bas après la ruine et le suicide de ses parents. Ils ont tout perdu, y compris cette maison, lors des grands krachs boursiers. Ma grand-mère nous décrivait souvent l'enfance magique qu'elle avait passée ici et comment ces ignobles Matherson leur ont volé cette maison. Elle nous a fait promettre à tous de la venger un jour. Et comme mes idiots de frères sont des incapables c'est moi qui me suis chargée que retrouver cette demeure dont elle nous parlait si souvent et j'ai attendu sa mise sur le marché pour l'acheter. J'ai cru que j'allais être obligée de tuer la vieille Matherson, elle n'avait pas l'air de vouloir crever.

Amias murmura quelque chose à Thétys qui la fit sourire. Jamais, plus jamais il ne confierait d'achat immobilier à son épouse. L'impitoyable Charlotte les regarda et enflamma son époux par ce simple mouvement des yeux. Au milieu de cet endroit maudit ils trouvaient le moyen de réchauffer l'atmosphère par leur amour inconditionnel.

— J'appellerai une décoratrice d'intérieur et des hommes d'entretien demain, déclara Amias tout en partant à la recherche d'un salon qu'ils pourraient utiliser tous les trois comme chambre pour la nuit. Hors de question que je te laisse gérer la rénovation de la maison seule.

NemesisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant