En apesanteur

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Zoé

  Plus angoissée que jamais, j'enclenche la première et roule aussi vite que la circulation me le permet, en ressassant le déroulement de ce rendez-vous. Il n'a duré qu'une heure mais a été plus que révélateur. Je n'ai certes pu récolter que quelques bribes, mais, vues les réponses de mon médecin et les réactions de mon mari, je suis certaine que j'ai mis le doigt sur un élément primordial. Le comportement de Chris dans la salle d'attente était vraiment puéril et Dieu seul sait à quel point il peut m'énerver quand il fait son sale gosse de cette manière. Mais au fond, ça n'est pas de ça dont il s'agit. Jamais je n'avais vu mon mari aussi blême et paniqué que lorsque j'ai commencé à poser des questions au neuropsychiatre. En même temps, je le comprends, nous en sommes arrivés à cette situation également par ma faute. Effectivement, je n'ai jamais cherché à savoir de quoi je souffrais réellement. Pour moi, une amnésie restait une amnésie et, ne connaissant que lui, en toute confiance, je m'en remettais à ce que Chris me disait. Comme on me prétendait guérie, j'ai toujours voulu que ces rendez-vous insupportables se terminent au plus vite, j'en avais assez que ma vie ne se résume qu'à une simple perte de mémoire. Au moment de l'auscultation, quand les questions ne demandaient qu'à franchir le seuil de mes lèvres, je ne savais absolument pas sous quel angle aborder mon médecin. Il faut avouer que ma nuit agitée ne m'a aucunement donnée l'occasion de me pencher sur la question et encore moins cette étrange conversation du début de matinée avec ce petit garçon. Une image et un parfum qui ne se décident toujours pas à quitter mes pensées, d'ailleurs. C'est à tâtons que j'ai alors commencé mon interrogatoire, mais l'intérêt non dissimulé de mon spécialiste m'a vraiment prise au dépourvu. J'aurais dû m'en douter car il ne laisse jamais rien passer. Il saisit toujours le moindre détail et cherche sans cesse à décortiquer la moindre zone d'ombre, même la plus infime. Mon esprit qui carburait à mille à l'heure m'a aidé à repenser à l'article que j'avais lu quelques années auparavant, celui du témoignage d'une personne amnésique. Seulement, faire référence de but en blanc à ce genre de lecture pouvait signifier que je me renseignais et j'étais certaine que cela éveillerait les soupçons. Alors, c'est sans réfléchir que j'ai immédiatement attribué cette histoire à Cynthia. Tout est encore tellement flou dans ma tête que j'ai préféré rester sur mes gardes. Je crois que ce qui me déstabilise réellement est le fait que je mente à mon mari de plus en plus souvent. Je l'aime de tout mon coeur, mais bizarrement, ça m'est égal de le faire. La seule chose qui m'effraie  est sa réaction s'il l'apprenait. Je crains cependant que cette situation ne perdure puisque le doute s'est encore renforcé au moment où il m'a proposé que nous invitions ma collègue à dîner. J'en suis restée comme deux ronds de flanc. En effet, mon possessif de conjoint qui n'aime pas que je reporte mon attention sur qui que se soit d'autre, mis à part nos enfants, me propose de recevoir ? Avant qu'il ne parte pour Paris qui plus est ? Normalement, il ne m'aurait pas quitté d'une semelle et insisté pour que nous passions un maximum de temps ensemble avant notre semaine de séparation. Dès ce soir, il faut absolument que j'éclaircisse cette nouvelle énigme. De toute façon, ce repas n'aura pas lieu car s'il interroge Cynthia sur sa prétendue perte de mémoire, je suis vraiment dans la mouise... Sans omettre le fait que ma collègue n'est pas au courant de cette partie de ma vie et je refuse de la lui avouer. Et quand bien même ! Je ne m'imagine pas la faire venir en lui  ordonnant, sans aucune autre explication : « Je t'invite mais si mon mari te pose la question, dis bien que oui, tu as été amnésique ! ». Elle me prendrait incontestablement pour une folle ! De toute façon, un défi bien plus urgent m'attend dans les prochaines semaines. Il faut que je trouve le moyen de me rendre seule chez ce médecin. Ses réponses m'ont permis de comprendre que mes flash-back n'étaient peut-être pas si anodins que ça...

Pendant que Christopher était aux toilettes, j'ai consulté mon téléphone qui n'avait pas cessé de vibrer. Visiblement,  mon patron ne s'est pas décidé à profiter de son congé paternité comme me le laissent constater ses nombreux appels en absence. Et son unique message était on ne peut plus clair :

Une ombre dans mon coeur ( en pause) ( protégé par copyright)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant