_ Prête ?
_ Toujours.
_ Je suis content que tu m'accompagnes
_ J'ai besoin de réfléchir, de toute manière. Et passer du temps seul à seul à est devenu indispensable
_ J'adhère
_ Et puis je sais pas, j'ai pris un peu de poids alors...
_ N'importe quoi, soupira Liam
_ Si ! Mais en même temps avec toutes les merdes que je bouffe avec vous...
Le blond me frictionna les cheveux sous mes protestations et Liam et moi commençâmes à courir en rythme, laissant nos musiques respectives nous détendre au rythme des foulées. Je ne suis pas une fille particulièrement sportive, j'ai du faire quoi, deux ans de danse ? Et aussi un an de tennis, pas de quoi casser des briques. Je le faisais surtout pour faire plaisir à mon grand-père, Papy Joe. C'était lui qui m'emmenait et venait me chercher, et après les séances on se faisait un gros goûter tous les deux, « entre gamins » comme il se plaisait à le dire. J'étais sa fontaine de jouvence, et lui mon puits de maturité. Je n'ai jamais connu mon père. Maman n'a jamais été très bavarde à son sujet, je sais simplement qu'il a été le vrai et l'unique amour de sa vie, celui qu'on oublie jamais. Mort tragique accorde son lot de petites tragédies, j'en suis la preuve vivante. J'ai l'impression que ma vie entière dernièrement n'est qu'une suite de déboires et je ressens un vide immense au fond de moi. Du moins, je ressentais, jusqu'à ce fameux 29 septembre où j'ai rencontré Carl et que ma vie a changé du tout au tout. Avant d'avoir Carl, j'avais Papy Joe, le seul homme de ma vie. Il le restera toujours, d'ailleurs.
A mon inverse, Maman n'a jamais connu sa mère. Morte en couche. Papy Joe l'a élevée comme le vestige de son grand amour, avec toute la tendresse qu'une personne rêverait d'avoir pour son éducation. De toutes les relations que j'ai eu l'honneur d'admirer, c'est celle-ci la plus belle qui ai jamais existé. Entre ma mère et son père, c'était plus que de la complicité, c'était une réelle harmonie qui régnait. Être élevée par eux deux m'a bercée dans un monde où les cauchemars n'existaient pas, où le mal et le bien étaient distincts, où le doute n'avait aucune place dans ce monde, dans mon monde. Aujourd'hui, je ne peux pas dormir seule sans faire des crises de panique. Je ne sais plus ce qui est bien ou mal, et je doute de tout. Emma Duroy a tellement changé depuis ces deux dernières années. J'ai l'impression que cette fille si sage, si sure d'elle est une étrangère face à la chose que je suis devenue.
J'ai tellement déçu ma mère depuis un ans ; j'ai déçu Papy Joe aussi. A cause de...
pourquoi lui remettre toute la faute dessus ? Après tout, j'étais consentante. J'ai juste été manipulée par sa beauté, son charme, ses mots... mais je voulais faire tout ce que j'ai fais. J'en étais même fière ! Rentrer à cinq heure du matin complètement bourrée, dormir jusqu'à ce que la nuit tombe... et re-sortir. Mes notes ne comptaient plus, tout ce qui comptait, c'était Lui. Et on s'aimait...
Enfin, je l'aimais. Ais-je été qu'une simple marionnette dans son jeu, aveuglée par l'amour que je lui portais ? Peut-être. Surement. J'étais sa muse, sans notre duo, le groupe n'aurait jamais existé. Oui, je crois qu'on s'est aimés, en fait. Passionnément, brutalement, violemment. Mais, il y avait de l'amour qui se cachait derrière cette haine. Et puis, il était si torturé... un coeur à vif. Mais, on s'aimait, on se détruisait. Il n'y avait que ça qui comptait. Il m'a forgée, sans lui je ne serais pas ce que je suis. Une part de moi ne peut que le remercier mais, en contrepartie de ce qu'il m'a fait subir, endurer... la souffrance que j'ai vécu ne suffit pas à ce qu'il m'a donné.
Aujourd'hui, j'évolue dans un environnement différent. C'est plus complexe mais je ne suis pas aussi stupide qu'avant, je fais attention. Peut-être même trop. Je les vois les regards lourds de reproche des gars, quand je me referme pour ne pas parler de mon passé. Ça m'a valu un moment spécial avec Louis, élément déclencheur de ce qu'on vit en ce moment.