13. Le dernier Rêve

97 18 28
                                    



Souviens-toi que le Temps est un joueur avide
Qui gagne sans tricher, à tout coup ! C'est la loi.
Le jour décroît ; la nuit augmente ; Souviens-toi !
Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide.

Baudelaire, l'Horloge, in Les Fleurs du Mal


Il entendit le claquement de quelques outils de mécanicien.

« Et voilà le travail.

– Il fait sombre », dit Akin.

Le vieil homme était assis sur une pierre moussue et ses pieds étaient enfoncés dans la brume qui montait du sol. Akin ferma et ouvrit les yeux plusieurs fois. Il n'entendait plus les battements de son cœur, mais le régulier mouvement d'un mécanisme d'horlogerie.

L'homme en face de lui essuya une pince avec un chiffon graisseux.

« Je ne suis pas mort, dit Akin.

– Allons donc, vous ne savez pas qu'on a inventé le cœur mécanique ? »

Il secoua la tête.

« Je vous en ai mis un, c'est gratuit. Vous avez surtout de la chance d'être arrivé ici encore en vie. »

Des casseroles en cuivre suspendues à des branches d'arbres fossilisés avaient commencé à fondre et elles tombaient goutte à goutte.

Souviens-toi, disait chaque battement de l'horloge fragile.

« Je suis venu ici pour une bonne raison, dit Akin à haute voix.

– Excusez-moi, je dois y aller. »

L'homme attrapa une boîte à outils et s'évanouit dans la pénombre.


***


Akin erra longuement dans ce rêve éveillé. Il y avait beaucoup de créatures difformes, hybrides d'êtres humains, d'animaux, de plantes et d'objets du quotidien.

Au bout d'un moment, il aperçut des automates de plus en plus nombreux. Leurs silhouettes inachevées se déchiraient dans la pénombre. Incomplets, inquiétants, les bras asymétriques, rouages apparents, métal à nu.

De temps à autre, une voix mécanique émergeait d'un corps qui se traînait ; grave, une diction monotone, exagérée, automatique, crue, violente, qui le prenait à la gorge et lui retirait son souffle :

« Je t'aime, disait une de ces voix.

– Je t'ai-ai-aime », chevrotait une autre voix, tout aussi atroce.

Akin poussa la porte d'une cathédrale qui lui apparaissait comme le dernier refuge. L'intérieur était glacial, abandonné. Les battants se réunirent et se scellèrent derrière lui. Les monstres de l'extérieur projetaient des ombres hideuses à travers les vitraux.

En lieu et place des représentations religieuses surgissaient de nouvelles images, sur les tableaux, sur les vitraux couverts de poussière. Le lieu avait perdu son âme et sa vocation première. Ce n'était plus un lieu de culte, c'était une sorte de tombeau.

« Je suis à l'heure », dit la Mort, assis sur un banc.

Une montre à gousset dans sa main faisait écho aux battements du cœur artificiel d'Akin.

« Je dois mourir ? S'exclama celui-ci.

– Tout mécanisme d'horlogerie ne fonctionne que sur une durée limitée. Le votre ne fait pas exception Vous avez eu un sursis, mais le ressort arrive à expiration. »

Le dernier HommeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant