Tantôt sonnera l'heure où le divin Hasard,
Où l'auguste Vertu, ton épouse encor vierge,
Où le Repentir même (oh! la dernière auberge!),
Où tout te dira Meurs, vieux lâche! il est trop tard!»Baudelaire, l'Horloge, in Les Fleurs du Mal
« Mesdames et messieurs, bienvenue dans les Limbes, le séjour des rêves, là où l'on enferme ceux des puissants et ceux des opprimés. Mais surtout, bienvenue au grand Cirque de la Révélation, le cirque de la vie, de l'univers et du reste ! »
L'homme enfoncé dans un uniforme rouge sang, luisant de tous les côtés, à coup de boutons dorés et de bottes cirées, vainquit la clameur de la foule et reprit :
« Je suis monsieur Déloyal, pour vous servir et commenter ce spectacle qui durera une éternité ! »
Il remit en place une de ses dents, que la violence de son discours menaçait de faire s'échapper.
« Mais pour démarrer sans plus attendre, commençons tout de suite, jouons la Comédie Humaine ! »
De partout, dans les gradins, les spectateurs piaffèrent, à peine visibles derrière leurs grosses mains chargées de boissons sucrées et de nourriture grasse, bouches affamées agrandies en d'immenses sourires, surmontées de petits yeux porcins.
Akin s'assit au milieu des gradins. Il était arrivé ici par hasard et ne comptait pas rester très longtemps. L'atmosphère était étouffante. Le chapiteau était gigantesque, mais le public prenait énormément de place, il hurlait à tue-tête, surpassant la musique dissonante qui se déversait de non loin, jouée par un orchestre symphonique déchaîné mais désaccordé.
Le spectacle n'avait pas commencé qu'il en avait déjà compris le principe. La vie humaine est une comédie.
La piste s'éclaira vivement et une scène commença à s'y former, comme vue derrière une vitre – le public était spectateur de la vie des hommes.
« Pour commencer en beauté, dit le prompteur alors que les éléments du décor gagnaient en netteté, introduisons maintenant le très grand, le très célèbre Pygmalion ! »
Il y avait un homme, assis dans le désordre d'un atelier de sculpteur, au milieu de blocs de plâtre et de marbre posés les uns sur les autres, d'outils divers apprêtés. Autour de lui, plusieurs statues d'une incroyable perfection, d'une beauté absolue et insaisissable, représentant une femme, manifestement la même, assise et debout, en cinq exemplaires.
Le sculpteur avait les traits burinés par la fatigue et déformés par une folie naissante.
« Elle existe ! » S'exclama-t-il.
Il se leva d'un bond, regarda la première des statues dans les yeux, mais celle-ci ne fit aucun mouvement, amorphe bloc de marbre, que l'on aurait aimé voir prendre vie, mais qui ne le pouvait pas.
« Tu existes ! » Reprit-il, avec insistance, s'adressant à la statue.
Akin ne pouvait que constater que Pygmalion était devenu fou. Il voulait donner vie à une œuvre faite de pierre. Et pourtant, hormis la matière, rien n'aurait permis de distinguer la statue d'un être humain. La statue était même beaucoup plus précise que le souvenir après lequel il courait.
« Jusque dans tes moindres détails, dit-il. Alors pourquoi est-ce que tu ne prends pas vie ? »
Il marcha entre les statues, hagard, les épaules oscillant de façon erratique.
« Est-ce que ce sont les yeux ? Te manque-t-il des yeux pour voir ? Faudra-t-il que je m'arrache les yeux et que je te les donne ? »
Akin se demanda si les sculptures de Pygmalion ne représentaient pas celle qu'il cherchait S'ils partageaient tous les deux le même souvenir. Si ce souvenir était devenu statue.
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Le dernier Homme
Cerita PendekLe monde des Derniers Hommes n'est plus qu'une ombre. Le Temps, seul maître des lieux, joue comme il veut avec cette réalité dissoute, dans laquelle hommes, dieux et démons se croisent et dérivent. Parmi ces fantômes, peut-être Akin est-il le seul e...