2. Trois questions

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JAKE.

« C'était plutôt flatteur, me dit Isaac en regardant Aveline partir.

-Elle a mon cahier, soupirais-je en ignorant sa remarque. »

Je m'apprête à encaisser un de ses insupportables commentaires, mais une jolie fille semble lui faire de l'œil. Je sors de la classe et décide de rentrer chez moi en rejoignant ma Buick Verano. Isaac me rejoint côté passager, je ne lui pose aucune question et démarre. Durant le trajet, il me raconte deux ou trois ébats sexuels de la semaine, et je manque de m'étouffer avec mon gum lorsqu'il passe aux détails.

« T'es un porc, répondis-je en lui adressant tout de même un vieux sourire narquois, mais je connais mieux.

-Ah ouais ? Me demande Isaac sans s'arrêter de rire.

-Elle vient par-devant et par-derrière, devine.

-Je ne sais pas, des filles à gros nichons ?

-Deux queues, dis-je simplement.

-C'est qui le porc ! »

Je m'arrête juste devant sa maison, il me fait un bref signe en me remerciant, et je gare ma voiture deux maisons après la sienne. Je lâche un « putain » quand je vois Aveline assise sur le trottoir, devant le portail de ma maison. Je sors bruyamment de ma voiture, et lui lâche :

« Qu'est-ce que tu fais déjà là ?

-Tu m'as dit oui. »

Je ne dit rien parce qu'elle a raison. Je soupire de frustration.

« Et comment t'es arrivée si vite ?

-J'ai pris le bus, m'informe-t-elle en se levant.

-O.K, suis-moi. »

Je ne connais même pas cette fille, et elle vient chez moi. J'ai passé la moitié de mes années de lycée à éviter les gens, et voilà qu'une inconnue envahit mon espace privé. Je lui ouvre la porte, et je la vois tirer les bretelles de son sac à dos avant d'entrer. Son regard semble analyser les moindres détails de l'entrée. C'est une maison, il n'y a rien de plus banal. Un pot de fleurs à l'entrée, deux cadres photos, rien qui ne sort du commun.

Aveline s'attarde sur une photo, et elle tourne le regard vers moi. Je décide de ne pas aborder quoi que ce soit de privé, et ouvre une porte qui mène aux escaliers. Je monte les marches, et l'écho de ses pas m'indique qu'elle est juste derrière moi. Je prends à droite, et ouvre la porte qui nous mènent à ma chambre. Aveline referme la porte, je remarque que mon bureau n'est absolument pas rangé.

Hier soir, j'ai beaucoup travaillé la géométrie, on peut encore voir des cadavres d'essais. Elle pose ses fesses sur mon lit, et commence à sortir ses affaires. Je prends la chaise de mon bureau, et la tourne vers elle. De toute façon, ce n'est que pour trois questions. Après ça, je n'aurais plus besoin de faire des efforts considérables pour elle. Je la surprends en train de mordre son crayon, les yeux rivés sur des feuilles imbibées d'encre noire que je n'ai pas la capacité de lire de là où je suis. Elle relève les yeux, et cette fois, c'est elle qui me surprend en train de la regarder. Je me racle la gorge pour l'inciter à aller plus vite.

« Prenez-vous...

-Tu me vouvoies, riais-je.

-Pardon, s'excuse-t-elle en tortillant ses doigts dans tous les sens, ce qui me provoca un léger mal de tête.

-Donc ?

-Prends-tu cette qualité comme une différence dépréciative ? »

Je réfléchis un moment à la question. Elle a appelé ça une « qualité », je ne peux m'empêcher de la trouver mignonne à ce moment-là. Je n'avais même pas remarqué qu'elle était plutôt agréable à regarder, mais je sais pertinemment que ce genre de filles qui manquent cruellement de confiance en soi ne le savent pas. J'ai un moment le mot « qualité » qui trotte dans ma tête. Est-ce que le fait d'être différent me dérange ? Est-ce que je déteste vraiment mon hétérochromie ?

HétérochromieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant