Chapitre 5

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La partie est terminée. Mon jeu prend fin. Il manque un pion sur le plateau.
Je suis retourné au parc, un peu nostalgique. Une petite partie en moi espère sûrement encore la revoir, la petite blonde assise sur le banc là bas. Mais elle n'est toujours pas là. Elle a tiré un trait sur sa routine. Peut-être par ma faute ? Parce que je suis venu la déranger. Déjà vingt-trois jours, vingt-trois qu'elle a disparu de mon horizon.

Son absence rend un nouveau départ possible pour moi. De nouveaux chemins, de nouveaux choix, de nouvelles inexpériences. Vivre au jour le jour, improviser, ne plus se retourner.

Retrouver le bon vieux temps entre mes quatre murs. Acquitté de ce sentiment d'appartenance. Je déroule le grand tissus blanc en coton sur mon plan de travail. La robe verte était tout juste finie. Qui dit nouvel état d'esprit, dit nouvelles idées, dit nouveau projet. Je pars sur une robe de soirée longue, moulante. Un coté légèrement vintage avec les plumes.
D'abord monter le patron sur une taille trente-six. Le reporter sur la longueur du tissus. Découper chaque pièce à deux centimètres des marques.
Tout juste le temps de prendre un petit café chez Sarah, et c'est reparti.
Assembler les pièces, surpiquer, s'occuper des détails, des finitions, pose des plumes, et repassage. Il est une heure du matin désormais. Quand je commence, ça me porte loin. La forme est simple, mais une création à la journée c'est rare. Je la pose sur un cintre, et l'accroche sur la tringle qui sera transportée jusqu'au magasin.

Le temps de me préparer, l'horloge affiche deux heures. C'est toujours dans ces moments que le temps s'amuse. Je me glisse sous la couette, et me mets à penser quelques temps. J'attends le sommeil qui tarde à venir.
La lune est très ronde aujourd'hui, elle éclaire très fortement les murs de ma chambre. Son rayonnement froid se faufile entre les volets de ma fenêtre.
Je fixe les projections comme si l'on me laissait regarder dans le futur.

Je me laisse vagabonder, vivre. Sans forcément avoir l'impression de profiter, d'expérimenter, mais seulement d'être libre et d'aller bien. Quelque part cet emprisonnement me manque par le réconfort qu'il apportait.

Les murs ne sont pas aussi réconfortant que lorsque j'étais enfant. Je croyais qu'ils me protégeaient de l'orage. Tout comme je voyais la couette me protéger des méchants, ou mon matelas me protéger de la méchante sorcière allongée sous mon lit. Les murs ne sont pas aussi sécurisants.

J'ai laissé passer cette insouciance. Les choses changent. La façon de penser, d'agir. Grandir, observer, apprendre, interpréter. Tout est choisi.
Nous changeons dans le but de devenir soi-même. S'apprendre avant de s'inventer.
Nous résidons dans le voulu, l'absolu. Maîtres de nos choix futurs, dépendants des anciens.

Je choisis la facilité, peut être que c'est moche, peut être que c'est gâcher l'espoir. Le blanc tâche le vert. On laisse le temps prendre à nouveau le dessus. On se laisse porter par nos sentiments. Et chacun vit son expérience personnellement.
J'ai choisi de laisser tomber, en m'accordant à la frustration.

C'est le soleil qui me chasse de tout ça, se faufilant par le même chemin que la lune, quelques heures plus tôt. Il vient imposer des rayures sur toute ma chambre.
Loin de tout, j'ouvre difficilement les yeux, par le courage saisissant du matin. La faim d'atteindre ses objectifs, la faim d'atteindre le pain, le beurre et la confiture.

Gelée de coings ou de pommes ?
Les deux. On en vient au temps du laissé aller, de la non-privation. Le temps de la remise en question, le passage de l'innocence et la perte de contrôle.

Tout nous rattrape.

On se remets dans son quotidien, à reprendre ses occupations, et lorsque rien ne nous préoccupe, on pense juste à soi, au moment présent.

Je retrouve mon atelier, frais, illuminé par ce soleil persistant. Lui non plus n'est pas à son apogée. Il attend d'être au plus haut. Tout comme chacun peut atteindre des sommets.
Le hasard est calculé, l'abstrait est détaillé, le fond retrouve la forme.

Un peu perdu, je me replonge dans mon travail. Il est dix heures du matin, peut-être un peu plus. Ça ne se joue qu'à quelques minutes. Il me reste du temps avant le repas. Il me reste du temps.

Alors je répète les mêmes gestes. Je me rends compte que la vie n'est faite que d'éternels recommencements. Je quitte une routine pour replonger dans une seconde.

J'aurais à nouveau besoin de celle qui sait la bousculer joliment, cette routine.

Je vois qu'il est temps de prendre ma pause habituelle. Je laisse tout en plan. Mon petit bordel artistique à moi. Mon petit recueil.
Je traverse le couloir, et comme à l'habitude, mes pas cognent et résonnent sur le parquet grinçant.
Je tourne les clefs dans la serrure, une fois chaussé. La descente des escaliers se fait d'un rythme normal, la main appuyée sur la rambarde glissante.

C'est ainsi que je suis sorti de mon immeuble. Je me suis arrêté le temps d'une seconde, j'ai regardé autour de moi. J'ai vu les voitures se coller les unes aux autres, j'ai vu cet homme au milieu du rond point. J'ai vu mon reflet dans les vitres de la banque. Je n'aurais rien manqué.

J'ai légèrement tourné mon visage sur ma droite, et c'est là que je l'ai vue.

Axelle (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant