Chapitre 3

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La pluie ne s'est pas arrêtée depuis hier soir. Étonnant pour un été aussi beau que celui là. C'est en regardant par la fenêtre que je termine mon dîner. Il est midi et demi, et je vais me remettre à bosser sur ma nouvelle création en pensant à Axelle. C'est tout à fait le genre de vêtement avec lequel je pourrais la voir arriver une journée où le soleil rayonne.
Une robe cintrée, en nuances de noirs, gris, blancs et rouges. Courte, parfaite avec des escarpins.
Je m'attelle donc à la découpe du tissus en ayant en tête de la voir portée.

Tout juste le temps de découper toutes mes pièces qu'il est déjà temps pour moi de partir. J'emporte un sou pour payer mon café et je décroche du porte-manteau ma veste noire. Je l'enfile, et prends le parapluie accroché comme toujours sur la poignée du placard de l'entrée. Je ferme la porte à deux tours derrière moi et m'en vais .

-Comme d'habitude, lançais-je à la serveuse du café avec mon sourire habituel.
-Je me doutais bien, répondit-elle avec le même sourire.
-Merci Sarah.
-Tu repars déjà ? Tu vas la retrouver ?
-La retrouver ? Si on veux ..
-Comment ça ?
-Je file, à demain.

C'est ce genre de situation, qui me remplis de honte. Dans l'incapacité de simplement dire bonjour, ou d'assumer un regard franc. J'ai honte de dire que je perds mon temps à courir après une inconnue. Je n'en parle pas, je reste fermé.

Je m'entête. Épris d'obsession. La volonté a pris congés de moi, me laissant tourner dans ce manège routinier. Je tourne sur ma droite, faisant suivre chacun de mes pieds l'un devant l'autre, vers le banc qui m'attendait patiemment. Chaque jour le temps semblait régresser.
La pluie qui se faufile dans mes chaussures commence à tremper mes chaussettes. Les gouttes martèlent le sol. Elles s'acharnent.
Elles se laissent tomber en fait. Il est plus difficile de tenir le coup plutôt que de baisser les bras.

Je crois que j'ai été entendu.

Je peux alors mettre mon parapluie de côté. Je sors mes affaires de mon sac, et me mets à lire. J'attends. Je suis plus concentré sur la fontaine que sur les lignes en face de mes yeux.
Attention. Le soleil se montre.
D'abord un talon, puis un deuxième. Puis cette longue robe encore inconnue à mes yeux. Pour finir, ce regard. Elle s'avance doucement et après avoir essuyé les gouttes de pluie sur le banc, s'assoit en face de moi, la mine fuyante.
Elle fronce les sourcils devant sa lecture quotidienne. Son visage est différent. Ses yeux ne se promènent plus, ils ont arrêté de marcher. Les lignes ne défilent plus. Son regard est figé. Elle n'a plus la force de tenir le livre. Elle se force à le retenir devant son visage. Sa main gauche, appuyée sur sa cuisse, tremble depuis qu'elle s'est assise. Il ne fais pourtant pas si froid. Peut-être est-elle frileuse ?

C'est le froid qui la fait pleurer, c'est sûrement ça. C'est le froid qui la rend malheureuse ? Qui l'empêche de lire ?
Non.

Une larme glisse sur sa joue. Elle aussi, elle a laissé tombé, elle a baissé les bras. Le soleil a les yeux plein de pluie. Sa vulnérabilité se démultiplie.

Axelle, c'est cette fille assise sur le banc là-bas. Oui, elle a l'air paisible, à lire au parc tous les soirs. Axelle sait mentir jusqu'à ce que sa fragilité la trahisse. Elle a honte de pleurer devant moi, elle se cache. Je pourrais être là pour elle, même si je me rappelle que je ne suis que l'inconnu du banc d'en face pour elle.
J'ai levé les yeux le regard plein de compassion, lorsque le sien pleins d'espoir, est venu se heurter à mes pupilles. C'était intense. Elle me laissait lire en elle.
C'est triste, là dedans. C'est tout noir. C'est la pluie à l'ombre des nuages. C'est le malheur qu'elle cache continuellement.

Je ne veux pas paraître trop insistant, alors je dévie mon regard sur mon livre. Concentration impossible, je me demande comment un diamant peut être brisé à ce point. Je lance régulièrement quelques regards sur elle pour épier ses gestes. Pour comprendre.

J'étais prêt. J'allais lui adresser quelques mots. Je ne sais pas encore lesquels, mais spontanément j'avais besoin réellement de lui parler. Je ne peux pas la laisser comme ça.
Seulement au moment ou j'ai voulu ouvrir la bouche je la voyais prendre ses affaires et s'en aller. Elle partait déjà, au bout de vingt minutes.
Je la comprends mais je lui en veux. C'est de la frustration, de l'impuissance que je ressens. J'allais... enfin ça n'aurait rien fait.

Le temps est monotone. Je suis seul. La routine est détruite. Je ne sais pas comment je me sens.

Vide peut-être. Dans l'incompréhension.

Je ne vois plus pourquoi rester là. Je prends mon sac, et pars avec en direction de chez moi.
En marchant, je pense à elle. En mangeant je pense à elle. Le soir en me couchant, toujours pareil. Je revois son visage dur, malheureux. Je sens son coeur en peine .

En me réveillant le matin c'est ce qui me revient en premier en mémoire.
En me préparant, en travaillant, en marchant, en agissant, même sans rien faire je pense toujours à elle.

Le temps passant vite, je sors de chez moi sans même penser à prendre un café. J'avance en pensant directement à comment en savoir plus. Je brûle d'impatience lorsque j'arrive au parc, nettement en avance.

Impossible de rester assis, je reste planté en plein milieu de l'allée, à fixer la fontaine.

Là, des enfants jouent à diriger des bateaux à moteurs miniature dans le bassin, pendant que d'autres sont trop occupés à savourer leurs glaces.
Sur un banc un peu éloigné, un homme fume, préoccupé par chacune des prochaines bouffées de tabac.

Les oiseaux sont là, eux aussi. Ils attendent la pitié, histoire de tenir encore.

Même le temps semblait attendre. Le jeu en pause. Tout ici n'était relatif que lorsqu'Axelle arrivait.
Mon esprit ne changeait pas de direction, je suis là dans l'attente de voir apparaître un premier talon au tournant. Puis un deuxième. Voir ensuite une longue robe encore inconnue.
Pour finir, voir apparaître son regard, perdu entre le mouvement de ses cheveux.

Je suis figé, à notre endroit, dans le parc, et j'attends.

Axelle (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant