Chapitre 1

187 19 0
                                    

Axelle c'est cette fille comme les autres. La petite blonde, aux cheveux ondulés, assise sur le banc là-bas. Elle tiens un livre de poésies entre ses mains, et elle lève la tête quand un oiseau s'approche d'elle. Axelle, c'est cette fille que tout le monde voit mais que personne ne remarque. Personne ne fait attention à la mèche qu'elle repousse sans cesse derrière son oreille droite. Ni au fait qu'elle croise et décroise les jambes régulièrement.

Personne, sauf moi.

Elle arrive ici tout les soirs à dix-sept heures. Elle s'assoit sur le troisième banc du parc, en partant de la fontaine. Elle pose son sac à sa gauche, croise les jambes, et ouvre son étui à lunettes. Elle les met sur son nez, avant de sortir un peu de lecture.

Axelle, c'est cette fille rongée par ses habitudes. Sous l'emprise de la routine. Elle sort de son lieu de travail à seize heure quarante et ensuite, elle se rend au café de la rue Proust, où elle emporte son thé habituel. Le thé Earl Grey, noir, avec une paille.

Elle marche jusqu'au parc des plantes en passant par la rue Montaigne et la place marchande. C'est à ce moment que je la vois arriver à ma droite, et s'asseoir sur le banc en face de moi.

Jamais elle ne m'a regardé, sauf peut être quand mon regard n'était pas tourné vers elle pour le voir.

Alors elle se renferme dans son monde, que personne ne doit pénétrer. Elle fait semblant de ne pas m'avoir remarqué, puis elle ouvre son livre à l'endroit de son marque page.
Chaque livre à droit à un marque page différent. Couleur, motif, dessin, forme. Tout change tout le temps.

Celui d'aujourd'hui est vert et bleu. le haut est arrondi, et les bords sont crantés. Je lève légèrement mon regard et je vois ses yeux parcourir chaque ligne.

Voilà tout ce qu'on croit qu'elle laisse voir d'elle. Ses habitudes, ses livres, et ses vêtements. Son style rétro un peu bohème. Sa démarche, la façon dont elle se coiffe. Tout est différent chez elle. Elle est fascinante. Il est dit que les personnes qui acceptent d'être différentes sont les plus fortes. Et elle cache tout ça derrière son train-train quotidien et son air pensive.

Elle est ailleurs, elle est ici. Elle vit pour elle, à sa manière. Seule, réglée, organisée, étoufée, malheureuse sans le savoir.

Les gens passent devant, derrière ou à côté d'elle sans même faire attention. Elle est seule sur son banc, et personne ne cherche à s'asseoir à côté d'elle.

Et puis il y a moi, en face d'elle, seul sur mon banc, à feuilleter mon livre en buvant mon café. Mon café noir, un sucre, avec une paille.
Je passe mes fin d'après midi ici, captivé par la personne en face de moi. Depuis deux mois que je viens ici je n'ai lu que soixante trois pages. Je suis bien plus occupé à la regarder, dans les moindres détails. La voir répéter les même gestes différemment. Je l'apprends, la lis comme un livre qu'on nous laisse apercevoir. Seulement d'elle je n'ai que la couverture.

J'ai envie, bien-sûr, d'ouvrir ce livre, de connaître son histoire. J'en meurs d'envie. C'est pourquoi je me retrouve ici chaque soir, quelques minutes avant qu'elle arrive.
Mais je n'ai aucun courage. Ma fascination et mon admiration pour elle me bloquent. C'est plus fort que moi, c'est plus fort que tout.

Si elle savait tout ça elle me prendrait sûrement pour un fou. Il y aurait de quoi. Seulement il n'y a rien de vicieux dans ma démarche. C'est seulement obsessionnel. Juste de la curiosité, lorsque la pensée de mon coeur et celle de mon cerveau fusionnent.

Je voudrai seulement entendre le son de sa voix, lui adresser quelques mots. La connaître.

Alors en attendant le moment, le bon pour aller la voir, je reste là, dans mes habitudes, cherchant à voir si elle pose les yeux sur moi.

À dix neuf heures vingt, chaque soir, elle reprend son sac, y range ce qu'elle en avait sorti, décroise les jambes et repars par sa gauche. Elle passe devant la fontaine et fait un tour du parc en passant sur le petit pont rouge, prend l'allée des Rosiers, et continue tout droit jusqu'au rond point où se trouve l'hôtel de ville et la banque. Elle prend la troisième sortie, puis la seconde rue à gauche, et elle sort ses clés.

Elle prend l'impasse Baudelaire, et ouvre la petite porte marron tout au fond. Quand la porte se referme, on voit la cage d'escalier s'éclairer. On devine sa silhouette monter les marches, jusqu'au quatrième étage.

Puis la lumière s'éteint, alors je reprends le chemin inverse, jusqu'au rond point, et ouvre la porte verte, à droite de la banque.
Je travaille et vis ici. Non, je ne suis pas banquier. Je veux dire que je travaille dans mon appartement, en tant que styliste designer.

J'ai lancé ma marque de vêtements l'année dernière. Depuis je vis ici, et je vends mes créations dans le magasin situé à l'entrée du parc des plantes.

Je travaille à mon rythme, et je libère toutes mes fins d'après midi, entre seize heure trente et dix neuf heures. Ma pause habituelle. Toujours la même.

Et je rentre seul en pensant à Axelle. En repensant à ses vêtements, au parfum qu'elle laisse derrière elle quand elle s'en va. Je pense à elle en me disant chaque soir que je suis invisible, sans conséquences. Que je suis là dans l'attente de je ne sais quoi. J'attends de me réveiller, d'oser. Arrêter de penser pour agir.

Mais j'en reviens toujours au même point. À seize heure vingt-cinq, je sors de chez moi et ferme la porte derrière moi. Je replace ma pochette sur mon côté gauche, marche jusqu'au café. Prends comme à l'habitude, le café noir, avec le sucre, et la paille. Je l'emporte avec moi jusqu'au parc, ou je lis quelques pages en attendant de voir Axelle arriver.

Elle vient, et s'assoit en face de moi. Elle pose son sac à sa gauche, croise les jambes, et ouvre son étui à lunettes. Elle les met sur son nez, avant de sortir un peu de lecture. Elle fait semblant de ne pas m'avoir remarqué, puis elle ouvre son livre à l'endroit de son marque page. Le vert et bleu, encore aujourd'hui.

Nous sommes samedi vingt-trois juillet. Il est dix-sept heure sept. Elle est dans les temps. Ça ne m'étonne pas d'elle.
Elle a presque fini de lire toutes les poésies de ce recueil. Il doit lui rester environ cent pages, ou légèrement moins.

Je suis sûr qu'elle aura fini avant dix-neuf heures.

Alors je la regarde faire glisser les pages sous ses doigts, je regarde ses yeux gris s'engouffrer au travers des lignes. Je la regarde, je la dévore comme elle dévore son livre, jusqu'à la dernière page.

Il est maintenant dix-huit heure quarante-sept. Qu'est ce que je disais. Elle a fini, et je me demande comment elle arrivera demain. Avec quel livre, quels vêtements.

Il est hors de question pour elle de s'en aller maintenant. Elle va profiter des quelques minutes qu'il lui reste pour poffiner sa manucure. Elle sort une petite lime, et un vernis noir. En deux minutes, le tout est posé et il suffit d'attendre que ce soit sec.

Elle peut alors remplir son sac, en faisant attention à sa manucure, et repartir à sa gauche en direction du pont.
Je reste un peu sur mon banc, et je me fie à ma montre pour deviner ce qu'elle est en train de faire.

Ma pause est alors finie, et je suis satisfait. C'est mes petites habitudes, mon petit bonheur. Je me lève et prends le chemin de mon appartement pour aller dîner. Je suis à l'heure, je suis dans les temps, tout vas bien.

Axelle (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant