Chapitre 1 - Arrêt sur image

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Le froid est présent en tout lieu et à tout instant. La température est glaciale ici. Les arbres nus de la forêt courbent petit à petit leurs dos à cause de l'imposante masse de neige qui s'est accumulée sur leurs épaules au fil des jours. Les branches des conifères, dont les aiguilles tendent leurs têtes en direction du sol, croulent sous le poids de cette masse blanche omniprésente et qui dégage une certaine aura de pleinitude. Sous les arbres, les feuilles tombées en automne étouffent sous la pression de ce bloc d'or blanc et pourrissent en silence. Les cours d'eau ne peuvent plus siffler leurs douces mélodies. L'hiver les bloque en veillant à ce qu'ils restent complètement muets grâce à des couches successives de glace empilées sur leurs pauvres ossatures.

J'avais l'habitude d'observer certains animaux sauvages depuis mon observatoire personnel durant cette période. C'est un des seuls avantages à habiter à la campagne je crois. Sinon ça craint, y'a rien. Ni personne avec qui délirer un bon coup, c'est peut être ça qui me manque finalement. Malheureusement, appeurés et affamés, les animaux ne sortent que très rarement de leurs abris et préfèrent se morfondre cachés du regard glacé de cette nature envahissante. Tant pis.

- Rien ne bouge, tout est mort.. dis-je en soupirant, seul dans ma chambre sombre dans laquelle la seule lueur d'une petite bougie reflète les ombres de mes meubles.

Les écoles ont fermé momentanément leurs portes afin de garantir la sécurité de leurs élèves. Tant mieux, c'est bientôt les vacances de toute façon. En étant lycéen, je me vois donc forcer à occuper mes journées dans cette maison sans vie, maintenant que maman est partie et que papa passe la plupart de son temps à se réfugier dans l'alcool et à mater des vieux films de boule jusqu'à trois heures du matin sur la télévision du salon. Enfin..ça c'était y'a quelques semaines, maintenant y'a même plus d'éléctricité, donc retour à l'âge de pierre pour bouffer et s'occuper.

Les flocons ne cessent de tomber ces jours. Ce phénomène est sans doute l'une des choses les plus magnifique à observer quand on y pense. Ces particules. Ces minuscules particules qui descendent du ciel en tourbillonnant et voguant à leur gré dans les airs jusqu' à rencontrer une surface rigide. En seulement quelques heures, ces dernières ont réussi à étendre leurs bras sur la quasi totalité du pays et à en recouvrir les terres. Montagnes, villes et champs ne font alors plus qu'un. Un amas de couleur nacré qui semble résister avec détermination à la chaleur des rayons du soleil qui tentent tant bien que mal de le faire s'amenuir.

Peu de voitures s'aventurent encore dans cet environnement hostile. La circulation est presque inexistante, même aux heures de pointe. La route est à peine perceptible. Confondue avec la teinte de la neige, elle semble avoir revêtu son plus beau manteau qui reflète de temps à autre la faible lumière des rayons matinaux du soleil. Des stalactites. Partout sous les toits. Comme si toutes les bâtisses pleuraient à chaudes larmes et que le temps les gelaient en un claquement de secondes. Les maisons n'arrêtent pas de tousser ces vieilles fumées de cheminée. Le ciel, parsemé par ses effluves de bois calciné, paraît être terni par la froideur de l'atmosphère et adopte une teinte bleu foncé. On pourrait croire qu'il va faire nuit dans les minutes qui viennent, alors qu'il n'est que deux heures de l'après-midi. C'est horrible cette sensation. Ça te plonge dans le sommeil et te donne envie de dormir toute la journée, mais c'est impossible avec les ronflements incessants de l'autre vieux con en bas.

Cette ambiance pese lourd sur le moral des habitants de mon village de campagne. Personne n'est dehors. Aucun enfant ne joue dans la neige. Pas de batailles de boules de neige. Rien. Les rues sont désertes et sont enfouies dans ce magma blanc qui s'étend de plus en plus chaque jour. La semaine passée, j'ai tenté d'ouvrir ma porte d'entrée. C'était peine perdue. Un mur de neige se tenait fièrement devant moi et ne semblait pas vouloir se laisser marcher dessus. J'étais pris au piège dans mon hall d'entrée, emmitouflé dans mes trente-cinq couches de vêtements et mon gros bonnet qui descendait jusque sur mes yeux. Je me suis senti tellement bête et impuissant. Ça m'a complètement frustré et je suis remonté dans ma chambre en claquant la porte d'entrée derrière moi.

Ça aurait pu être une scène climatique totalement banale, cependant cette année, cette situation était totalement inédite, pour la simple et bonne raison que ça va faire maintenant six mois que l'hiver s'est installé dans nos vies. Nous sommes tout simplement au mois de juillet, mais sous la neige. Une chose est sûre. L'hiver est bien là, et il ne semble pas vouloir laisser place au printemps. Personne ne peut expliquer ce drole de phénomène, même les plus talentueux des scientifiques ou des météorologues que notre monde connaisse. Cependant mon père est sûr de lui au sujet de ce qu'il se passe dehors.

- C'est la fin du monde Keith, on va tous mourrir ! C'est comme dans la série avec ce putain de nain et la femme aux dragons là.. Gamoftrône ! "Winter is coming "qu'ils disent! me réplique-t-il à longueur de journée entre deux gorgées de bière blonde, affalé dans son fauteuil qui suinte la transpiration.

Après tout, c'est qu'un vieux alcoolique donc j'écoute même plus ce qu'il raconte. Je crois bien qu'il me fait pitié, c'est triste à dire, mais je vivrai bien mieux s'il boufferait les pissenlits par la racine dans sa tombe. Tu me diras, avec ce temps, il pourrait rien bouffer, y'a rien qui peut pousser sous cette neige.

Accoudé sur le rebord de ma fenêtre, je laisse mon regard se perdre dans ce monde que je ne reconnais plus du tout. Je pince mes lèvres. Je pense à demain, peut-être que je pourrais sortir de ce trou à rat et qu'il va faire meilleur. Maintenant, je soupire devant le verre de mon velux et j'attend, c'est tout ce que j'ai à faire de toute façon.

Peut-être que quelque chose va se passer, on sait jamais...se répétait-il.

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