Dix heure sonne. Les cloches de la petite église du milieu du village s'entrechoquent et résonnent quelque peu dans ce paysage hostile et figé. On dirait qu'elles essaient de rendre un peu plus de vie à cet environnement pesant qu'est mon lieu de vie, mais c'est raté. Le froid est toujours omniprésent, à mon plus grand damne.
Je décide de m'équiper de mes nombreuses couches de vêtements afin de lutter contre cette sensation de froid qui vous glace le sang à peine après avoir ouvert la porte de votre maison. J'enfile donc rapidement, écharpes, vestes, gants et bonnet sur mon corps frêle. Il est déjà dix heure dix, et le petit magasin de mon village ferme à onze heure. En sachant qu'il me faut quinze minutes pour m'y rendre, je me dépêche d'observer ce qu'il reste de mon père dans le salon et d'ouvrir la porte principale de la maison, l'argent méticuleusement enfermé dans la poche droite de ma veste.
Le premier pas. C'est toujours le plus dur à réaliser et pourtant j'y suis bien obligé. Après avoir pris une grande bouffée d'air chaud avec moi, je m'avance prudemment dans ces montagnes enneigées qui sculptent la figure de mon voisinnage. Mon avancée dans ses sommets est très lente. Mes pieds s'enfoncent fortement à chaque pas dans ce magma gelé et je dois redoubler d'efforts pour faire le suivant. Je garde ma tête ainsi que mon regard plongé sur mes pieds pour pouvoir mieux observer ma progression dans cet environnement. Étonnamment, l'air n'est pas si désagréable aujourd'hui. Les quelques rayons du soleil qui frappent le sol avec prudence, amènent avex eux, une brève chaleur illusoire.
Je jette un coup d'œil succinct sur ma montre, et je décide de commencer à courir voyant l'heure filer comme un flocon qui s'abbaterait à toute vitesse sur le sol. J'arrive devant la supérette à dix heures et demi et je m'empresse de faire mes emplettes dans ce lieu si crasseux qu'il me fait penser à l'endroit où réside mon père, dans mon salon. Les cafards sont rois ici, et la simple vue de ces insectes incommodes me provoque instantanément la chair de poule. De toute façon c'est le seul magasin de ma ville, si j'ai pas envie de mourir de faim, même en mangeant du chien qui vient de Chine à la place de bœuf, c'est plus mon soucis à présent. Je sors de ce trou à rats, les sacs remplis de nourriture congelée, et j'enfile presque machinalement mes écouteurs dans mes oreilles. Je lance la musique, et à peine après quelques mètres je me sens bizarre, comme parcouru par un sentiment inexplicable de liberté. Seul dans ce paysage blanc, j'avance calmement sans personne sur le dos, sans devoir faire quelque chose d'autre à part placer mes pieds successivement l'un devant l'autre.
Je n'ai pas envie de rentrer tout de suite à la maison, pas envie de voir ma cellule qui me sert de chambre, et surtout pas envie de voir cette chose qui me sert de père. J'ai juste envie de profiter de ces quelques instants de répis, même si le froid tétanise encore chacun de mes membres à chaque pas que j'effectue sur ce trottoir enneigé. Après quelques dures minutes de marche, je décide de bifurquer, sans aucune raison valable, vers une petite forêt qui longe mon paté de maison, mais j'ai l'impression que je dois passer par là, instinctivement. Ça faisait longtemps que j'étais pas passé par ce chemin pour rentrer chez moi, mais là, c'était différent.
Les arbres sont fatigués. Fatigués de porter cette masse qui ne cesse de les réduire à courber leurs dos vers le bas. Ils sont un peu comme moi, nonchalant et exténué de ce quotidien morose que je vis depuis plusieurs années maintenant. A l'orée de grands pins habillés de leurs costumes nacrés, je pénètre dans ce dome formé par les nombreux arbres et conifères qui jonchent les deux côtés d'un petit sentier droit. Je pivote sur moi-même, les yeux grands ouverts; personne à l'horizon. Je frétille sans raison. Je ferme les yeux, et je respire quelques grandes bouffées d'air frais qui revigore subtilement mes deux poumons, étant parfaitement délaissé de tous mes soucis. Comme si la nature qui m'entourait me comprenait et me permettait de réduire mes problèmes actuels à néant. Je suis totalement dans les nuages, bien que le ciel d'aujourd'hui en soit dépourvu. J'avance doucement sur le petit sentier qui commence à zigzaguer autour des quelques résineux qui ont malheureusement préféré rompre que de devoir supporter ce trop lourd fardeau sur leurs épaules.
Soudain, un bruit.
Une branche vient de se briser plus loin derrière moi. Je me retourne vivement, avec mes deux sacs de nourriture. J'enlève mes écouteurs d'un geste brusque de ma main droite. Mes yeux sont à la fut de tout phénomène qui pourrait m'incommoder d'une quelconque façon.
Derrière moi, le néant blanc.
Je tourne la tête pour reprendre mon chemin, mais mon sang ne fait qu'un tour.
- Bonjour, tu es Keith Forrester je présume ? me lance solennement un individu qui était venu se poster juste devant mes pieds.
J'écarquille les yeux et je recule de quelques pas en arrière tout en ayant le regard fixé sur cette chose devant moi. Je suis ahuri. Sous mes yeux, un cheval. Un animal au pelage brunâtre dont la bouche s'ouvre et se referme pour laisser sortir des mots, pareil aux miens.
- Non non.. Je dois faire une rêve, dis-je en me frottant plusieurs fois les yeux avec mes mains. Ça doit être le froid qui me joue un vilain tour, il n'y a personne devant moi, ce n'est que le fruit de mon imagination. Réveille-toi Keith !
- Tu ne rêves pas Keith, poursuit l'équidé tout en mimant l'expression d'un sourire. J'ai une question pour toi, mais de toute façon, ta réponse ne changera rien à ton destin, tu viens avec moi, ajouta l'animal dont la tête vacille rapidement de haut en bas.
Je fixe toujours ce cheval. Je n'y croit pas mes yeux, apparemment je ne rêve pas. Je veux en avoir le coeur net, c'est pour ça que je m'approche de lui pour voir s'il est bien réel.
- Mais d'où tu tombes toi ? Qui es-tu ? Que me veux-tu ? murmurais-je à l'oreille de ce corps dont je pouvais toucher les contours sculptés avec le bout de mes doigts.
- Je suis Arion. Nous avons été conçu par la même personne, même si c'est difficile à gober. Et ce que je te veux.. Je dois t'emmener avec moi, on a besoin de toi ailleurs. Je t'expliquerais en chemin. Mais répond quand même à ma question, ta vie actuelle te plaît-elle ? ajouta l'équidé avec ce ton solennel qui m'a glacé le sang.
Décidement, mon cœur veut faire des siennes. Je ne sais pas pourquoi mais je ne l'ai jamais entendu battre aussi vite qu'en ce moment. Je fronce mes sourcils à l'annonce de l'animal fièrement posté devant moi, les quatres pattes sur le sol, le pelage lisse. Il veut m'emmener ailleurs. Je ne comprends plus rien et soudainement des bourrasques de vent glacial viennent à nouveau frapper mon visage.
- Conçu par la même personne.. Euh, j'ai une mère et un père humain, et tu es un animal, donc non je vois pas là. Et ma vie en ce moment..
Un grand silence régna pendant plusieurs instants. Je fixais le sol, pourquoi devais-je parler de ma vie à un cheval qui plus est, un cheval qui parle et qui tombe sûrement d'une planète extraterrestre.
- Ma vie c'est pas la fête du slip ces temps, si tu vois ce que je veux dire. Voilà c'est tout ce que tu as à savoir, rétorquai-je en fixant l'individu devant moi.
- J'ai la réponse que j'attendais. Je t'expliquerai le reste en chemin, répondit froidement l'animal. Maintenant grimpe sur mon dos, on t'attend plus loin. N'aie pas peur, monte !
Je résume la situation: Je reviens des courses, les bras chargés, et je me fais accoster par un cheval qui parle, qui s'intéresse à moi, qui connaît ma vie apparemment, qui me dit qu'on est potentiellement frère, qu'il veut m'emmener dans un endroit inconnu, et par dessus-tout, on m'attend. Mais qui ? Où ça ? Pourquoi? C'est l'incompréhension totale. J'hésite quelques instants, je repense à mon père alcoolique. Et puis merde je verrai bien ce qui se passe, de toute façon ça peut pas être pire que ce qui m'attend à la maison.
- Arion..C'est ça ? Je viens avec toi c'est d'accord.. dis-je en laissant tomber mes deux sacs plastiques au sol.
- De toute façon tu n'as pas le choix, s'amusa Arion. Allez monte !
Je fronce une nouvelle fois les sourcils. Je passe ma jambe droite par dessus ce cheval qui parle et je m'aggripe à sa crinière. Tout me paraît inconcevable, je suis dans la lune, mais après tout j'aime l'inconnu et l'aventure.
Arion commença à galoper rapidement entre les arbres dont les troncs grelottent toujours, ayant un endroit bien précis en tête.
VOUS LISEZ
UNDERGROUND
FantasyJe n'étais qu'un adolescent solitaire, perdu dans un petit village de Bulgarie avec mon père, absent dans mes gestes et dans mes pensées. Jusqu'au jour où au milieu de l'hiver j'ai découvert en moi un invincible été qui a rallumé la flamme éteinte d...