Les feux de la haine

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Alors que j'allais m'asseoir à ma place - le plus au fond possible afin de me faire oublier - le regard d'une fille attira mon attention. Blonde aux yeux verts émeraude, un visage à la Gigi Hadid qui devait faire son petit effet sur les élèves de sexe masculin de cette classe. Un rictus sardonique couronnait ses lèvres pulpeuses. Son regard chargé de reproche et de haine me fit l'effet d'une décharge électrique. Un cri tentait de sortir de ma bouche mais je l'en empêchai - hurler n'est pas un bon moyen d'être bien vu par les autres, croyez-moi!

Je réussis, par miracle, à continuer mon chemin entre les tables et m'écroulai sur mon siège - avec la grâce d'un sac à patates. Tremblante, je tentai de reprendre mon souffle. "Wow" fût la seule pensée cohérente qui me vint à l'esprit.

Cela faisait à peine cinq minutes que j'étais entrée dans cette classe et je m'étais déjà faite une ennemie - qu'en plus je ne connaissais pas. Mais qu'avais-je fait de mal? Moi, la reine des cruches, peuple tarte capable de se faire détester par des inconnus. Et l'assistante sociale qui pensait que ce séjour me serait bénéfique...Elle avait tout faux!

J'inspirai profondément et tentai de calmer mon cœur palpitant. Le professeur de mathématiques débitait avec emphase un quelconque théorème dont je n'avais aucun souvenir. 

Il est vrai que  mon année scolaire précédente avait été plutôt... mouvementée et je n'avais guère suivi les cours des deuxième et troisième trimestres - les regards empreints de pitié de mes camarades comme professeurs n'aidant pas. Les mots "problèmes familiaux" semblaient avoir été tatoués sur mon front et je ne pouvais faire un pas sans entendre leurs murmures. J'avais approfondi mes connaissances des toilettes du lycée mais pas du reste. 

Seuls quelques amis m'étaient restés et tentaient de m'épauler et me soutenir après la nouvelle de l'accident. Néanmoins, il savaient bien que cela n'était pas suffisant. Ainsi, ils m'avaient encouragée à "changer d'air". Pour cela, c'était réussi. Le temps pluvieux et maussade de Londres contrastait parfaitement avec le soleil brûlant du sud-est de la France.

Cette expression, "problèmes familiaux", adoptée par l'assistante sociale pour justifier mes absences et mon humeur était en elle-même assez ironique: comment qualifier ce qu'il leur était arrivé de "problèmes"? Bien définitifs, comme problèmes, si vous vouliez mon avis.

Les psychologues, eux, parlaient de destin. Destin? Comment pouvaient-ils être destinés à cette fin? Jamais ils n'avait mérité ça, contrairement à moi. J'aurais échangé sans hésiter ma place avec la leur, mais malheureusement cela ne changeait pas grand chose. A côté, un divorce, autre "problème familial", passait comme un carnet de notes d'un premier de classe.

Pour résumer, ni "destin", ni "problèmes familiaux" ne me convenaient pour définir cette situation. Vous me demanderiez donc quels mots j'employais. J'était dans l'incapacité la plus totale devant cette question. Il n'en existait tout simplement pas pour décrire le gouffre sans fond dans lequel j'avais sombré. Les parois de feu me brûlaient vive lorsque je tentais de remonter à la surface.

De retour à la réalité, je remarquai que les autres élèves étaient plongés dans leur livre, effectuant - ou simulant de le faire - un quelconque exercice. Je levai la main, provoquant la surprise du professeur - peut-être les Anglais préféraient-ils twerker ou chanter du Adèle afin d'attirer son attention?

-"Yes? (Oui?)

-I don't have the book." (Je n'ai pas le livre.) déclarai-je d'une voix que je voulais forte et assurée. En réaction, tous les regards convergèrent vers moi.

-"So go seat next to Samantha. You'll take your books at lunch." (Vas donc t'asseoir à côté de Samantha. Tu prendras tes livres au déjeuner. )

Il me désigna de la tête la Samantha en question, qui s'avéra être la blonde menaçante. Oh non. Pourquoi entre trente-cinq élèves avait-il du choisir celle qui me détestait? Mais on ne me donnait pas le choix, alors je m'assis à côté d'elle et essayai de comprendre l'énoncé. Son regard haineux me brûlait le visage malgré ma tentative de camouflage derrière le rideau de mes cheveux bruns.

Au bout de plusieurs lectures, je finis par comprendre à peu près ce que j'étais censée faire et commençai à rédiger ma réponse dans un cahier flambant neuf (acheté à Leclerc avant mon départ). J'étais plongée dans un calcul particulièrement tordu - à tel point que je me demandais si je n'avais saisi ne serait-ce qu'un seul mot de l'énoncé - lorsqu'un coup de coude mesquin me fit déraper. Je tournai la tête vers sa provenance, Samantha évidemment.

-"What? (Quoi?)

-Shut up! Go back in youe f*ckin country!"  (Tais-toi! Retournes dans ton p*tain de pays!) Sa voix rauque, remplie de rage à l'état brute, me vrilla les tympans. Je m'écartai à l'extrême bord de ma chaise et me recroquevillai d'effroi.

-"Why?" (Pourquoi?)  s'échappa de mes lèvres d'une voix plaintive et pitoyable qui me fit honte. 

Cette fois, sa voix ne me surprit pas. 

-"All your existence is wrong. You're not supposed to be alive." (Toute ton existence est fausse. tu n'es pas supposée être en vie.)


Forever mine #Wattys2016Où les histoires vivent. Découvrez maintenant