Le reste de la journée se déroula, à mon étonnement, sans encombre. Exception faite du cours d'anglais, dans lequel Miss Marly avait décidé que m'humilier en me faisant lire un extrait de Shakespeare était un bon moyen d'augmenter sa côte de popularité - qui se situait jusqu'alors sous-terre. Mon accent était tellement infâme qu'on aurait pu croire que je mangeai du yaourt en même temps, ou toutes autres mixtures qui altèrent la prononciation.
Cependant, point positif, -méthode d'un des psychologues, toujours chercher du bon dans le mauvais - une de mes camarades n'avait pas ri pendant ma lecture et m'avait encouragée. Elle m'avait donnée son nom, Jess, et j'avais bon espoir de ne pas passer toutes les pauses tel un Lannister chez les Stark - s'ils n'étaient pas tous morts à la fin de la saison 7.
Les cours en Angleterre étant beaucoup moins longs, je me retrouvai libre à quinze heures - oui, bien avant les Français qui devaient encore souffrir jusqu'à dix-sept heures mouhahaha!
Après avoir été cherché mes livres, afin de ne PLUS JAMAIS me retrouver à côté de Samantha, je rejoignis celui qui partageait ma famille d'accueil. On devait l'avoir renseigné de mon déplorable sens de l'orientation car il était chargé de me raccompagner dans notre famille. Brun, aux yeux bleus, grand, mince, mais baraqué: la perfection incarnée vous me direz. Sauf que, lors de notre première rencontre, j'avais eu le sentiment d'être un déchet nauséabond tout juste sorti d'une poubelle car il ne m'avait même pas regardée! Evidemment, tout le monde ne peut pas avoir le physique...et les courbes... de la blonde maléfique!
On peut donc imaginer ma surprise lorsque ce mec super mignon me regarda amicalement et prit même la peine de me parler!
-"Hi. I'm Luke, I was supposed to take you back home but I wonder if you want to visit London? We've got plenty of time." (Salut. Je suis Luke, je devais te ramener à la maison mais je me demandais si tu voulais visiter Londres? On a largement le temps.) Sa voix avait pris un accent timide et hésitant et je ne pouvais que craquer. Il n'était clairement pas l'individu hostile que j'avais imaginé après notre première rencontre et je décidai de lui donner une chance. Après tout, qu'avais-je à y perdre?
J'acquiesçai donc en souriant et le suivis dans les ruelles londoniennes qu'il semblait connaître comme sa poche. Il faisait assez chaud, bien au-delà de mes espérances et je regrettai d'avoir mis seulement une seule couche de déo ce matin.
Je commençais à traîner des pieds - c'est vrai, quoi! j'étais venue pour visiter pas pour faire de la randonnée! Il s'en aperçu et réagit instantanément:
-"Your bag seems pretty heavy, I can carry it." (Ton sac a l'air assez lourd, je peux le porter.) et il prit mon sac. Personne ne faisait plus ça depuis le XIXème siècle! Mais, bien loin de le transformer en parfait ringard, cela en faisait plutôt un gentleman British tellement mignon...
Perdue dans mes pensées romantiques - j'en étais à la demande en mariage dans une chambre d'hôtel parsemée de roses et de petits cœurs en papier - je ne vis pas qu'il s'était arrêté et faillis lui rentrer dedans. Heureusement pour ma dignité, ou ce qu'il en restait, je m'arrêtai à temps.
Nous nous tenions devant Buckingham Palace. Le palais de la famille royale dans toute sa splendeur, entourés de touristes chinois armés d'appareils photos - ou autre langue parfaitement incompréhensibles - à m'approcher au plus près.
Dans la cour, je distinguai les gardes de la couronne, dans leur uniforme rouge, blanc et noir tellement connu: qui ne s'est jamais moqué de leur toque en fourrure noire tellement haute qu'ils ont du mal à passer une porte? Un guide français expliquait justement qu'ils devaient tenir leur tour de garde qui durait plusieurs heures, qu'il neige ou qu'il vente, sous une pluie diluvienne aussi bien qu'un soleil écrasant. Et moi qui ne pouvais pas passer une minute sans rien faire!
Je sortais mon portable pour faire une photo lorsque Luke me le vola des mains et prit la photo. Il me le redonna et dit: "Nice picture! You could send it to your family!" (Belle photo! Tu pourrais l'envoyer à ta famille!)
A la mention de ma famille, ce fut comme un uppercut en plein cœur. Une douleur cuisante m'envahit et je luttai pour ne pas craquer. Cependant, je ne pus empêcher une larme remplie de regrets perler au coin de mon œil.
Pendant un bref instant, j'avais simplement profité de la vie. Je m'étais autorisée à être heureuse. Mais le passé et ses remords me poursuivait. Je ne méritais pas de lui échapper. Pas après ce que je leurs avais fait.
S'apercevant de mon état, il tenta maladroitement de rattraper sa bévue. "I'm sorry, I didn't want to make you cry!" (Je suis désolé, je ne voulais pas te faire pleurer!)
Sa sincérité me toucha et je balbutiai "It's nothing" (Ce n'est rien). Il me prit par le poignet et me tira en arrière, loin de la place grouillante de touristes, jusqu'à une boutique de souvenirs.
Dix minutes plus tard, mes pleurs s'étaient momentanément estompés et je riais aux larmes. Aucun besoin d'être bilingue pour comprendre ses blagues pendant qu'il essayait les babioles aux couleurs de l'Angleterre ou de la famille royale. Pour finir, il attrapa un mug portant une photo de Baby George - sooo cute comme disent les Anglais! - et fit une imitation très mauvaise des Londoniens. "Oh miss, your tea is absolutely delicious!" (Oh mademoiselle, ton thé est absolument délicieux!). Le petit doigt en l'air, il fit semblant de boire, le petit doigt en l'air, avec un bruit de succion effroyable. "Can I have frogs and croissants please?" (Puis-je avoir des grenouilles et des croissants s'il te plaît?) fut son imitation des Français. Mais pourquoi un Français parlant anglais était-il parfaitement ridicule, mais l'inverse tellement sexy?
Apercevant l'heure sur une horloge accrochée à côté des magnets "London", il redevint sérieux. "What do you want?" (Que veux-tu?) Il arpentait les allées et empoigna finalement un nounours, un teddy bear déguisé en garde royale. En appuyant sur son ventre dodu, "I miss you" (Tu me manques) résonna dans la pièce. Son imitation qui suivit de la voix bourrue de l'ours me fit glousser. Satisfait, il se dirigea vers la caisse, paya, puis me le donna, non sans avoir ré-appuyé sur son ventre. "A present for your first day at school" (Un cadeau pour ton premier jour d'école).
Nous rentrâmes ensuite en métro - ou Underground, comme disent ceux qui veulent se vanter - et la soirée passa calmement. La surdité de Mrs Smith, la dame qui nous hébergeait, rendait toute conversation impossible, le voisin ceinture noire de judo très costaud n'appréciant pas particulièrement les hurlements.
Pour la première fois depuis des mois, je ne m'endormis pas en sanglotant silencieusement, mais serrée contre mon Teddy, - quelle originalité pour son nom - le sourire aux lèvres.
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Forever mine #Wattys2016
JugendliteraturEffondrée suite à un tragique accident, Lise perd le goût à la vie. Tout lui semble fade. Lorsqu'elle arrive à Londres, elle découvre un monde nouveau et oublie ses remords. Cependant un mystérieux secret lie celui qu'elle aime et celle qui la détes...