Nouveau pays pour une nouvelle vie

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La porte de bois vermoulue s'ouvrit dans un grincement déplaisant, me donnant un aperçu de la classe d'élèves qui me fixait sans vergogne. J'inspirai un grand coup et m'engouffrai dans la salle à la suite du professeur. Face à l'image d'une bière jetée parmi des alcoolos qui me vint à l'esprit, je relevai fièrement la tête et les toisai à mon tour. Ils ne me connaissaient pas, ne pouvaient donc pas me juger, si?

-"What's your name? Tell us about you" (Quel est ton nom? Parles-nous de toi)  me demanda le professeur.

Au stress d'une rentrée s'ajoutait celui d'une arrivée en cours d'année dans un pays dont on ne parle pas la langue - sauf si f*ck et I love you comptent. Mais les insulter ou leur faire une déclaration d'amour n'était certainement pas une bonne idée pour m'intégrer - et accessoirement me faire des amis!

J'estimais qu'il était donc de mon droit d'avoir passé une nuit blanche ponctuée de quelques rares phases de sommeil qui se terminaient inlassablement par des cauchemars terrifiants - avec, entre autres, un professeur changé en ours qui essayait de me dévorer tout en récitant les verbes irréguliers anglais (be, was/were, been, être...) ou des dindons en robe à froufrous qui gloussaient en me picorant les yeux.

Ma pire hantise - juste après me retrouver nue à la télévision - était sur le point de devenir réalité: je n'allais rien comprendre de ce qu'on me disait et devenir la risée du lycée.

-"I'm Lise, I'm sixteen and I come from France"  (Je suis Lise, j'ai seize ans et je viens de France) tentai-je de baragouiner dans un anglais hésitant.

Des gloussements aigus me parvinrent - semblables à ceux de mon rêve la nuit dernière - et je me retins de les toiser dédaigneusement, tel un adolescent devant un lecteur de cassettes.

-"What's your parents' job?"  (Quel est le métier de tes parents?) continua-t-il, imperturbable.

-"Doctor"  (Docteur) répondis-je promptement. Il me sembla que cette phrase sonnait faux tandis que le silence s'installait dans la salle. On aurait pu entendre une mouche voler - malheureusement il n'y en avait pas, occupées qu'elles étaient à profiter d'une rare période de beau temps dehors. Je me forçai à ne pas baisser le regard, bien que le regard me monta aux joues. Mon mensonge semblait si évident à mes yeux.

Il faut croire que j'étais douée pour mentir car personne ne trouva suspecte ma réponse et plusieurs personnes retournèrent dans leurs conversations personnelles. L'instant "bête de foire" était passé.

-"She's here by a family during six months"  (Elle est ici dans une famille durant six mois) crut bon de rajouter le professeur devant le désintéressement complet de mes camarades.

Oui, ma famille d'accueil, parlons-en justement. Une vieille dame dans la soixantaine - la fleur de l'âge, dirons-nous - sourde comme un pot et autre étranger de mon âge au regard hostile. Mon séjour promettait d'être long.

-"I...welcome her...nice...don't understand...help...class." (Je...l'accueillir...gentils...ne comprend pas...aider...classe.)  Le professeur avait parlé tellement rapidement que je n'avais saisi que quelques bribes. Les regards s'étaient recentrés sur moi, cela devait donc être une information palpitante sur moi - comme la fois où j'avais dévalé 28 marches d'un escalier sur le ventre après avoir trébuché sur un sac. Voyant mon désarroi, le professeur crût bon de rajouter "It's ok!" (Tout va bien!) d'un timbre exagérément lent et articulé. Mais non, tout n'était pas "ok" et j'aurais souhaité disparaître sous terre. Un rouquin couvert de tâches de rousseur - la réincarnation de Poil de Carotte - me fit un clin d'œil malicieux et un fou rire parcourut la salle. Quoi qu'il en soit, la crise était passée.

Forever mine #Wattys2016Où les histoires vivent. Découvrez maintenant