Le réveil de la force...fille

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Lorsque je rouvris les yeux, tout était flou et je dus cligner plusieurs fois des paupières pour que le voile qui les recouvrait se dissipe. Je distinguai alors une foule d'yeux qui me scrutait, certains inquiets, d'autres moqueurs ou blasés. Ma chute me revint en mémoire et une grimace de honte mêlée de douleur m'échappa. Je sentais un liquide chaud au goût métallique se répandre sur mon visage. Il fut rapidement essuyé par une main inconnue.

Des bras puissants me relevèrent et je reconnus Luke. Immédiatement, James me sauta dessus, paniqué: "I'm sorry I didn't want to make you fall and hurt you! I'm so sorry! Please forgive me! (Je suis désolé je ne voulais pas te faire tomber et te blesser! Je suis désolé! S'il-te-plaît pardonne-moi !)

Je parvins à murmurer "I forgive you" (Je te pardonne).Tout tanguait autour de moi, les couleurs se mélangeaient et les visages s'estompaient. Mais j'étais étrangement bien dans l'étreinte de Luke. Mes yeux commencèrent à se fermer...Une claque retentissante me les fit rouvrir presque instantanément et je toisai son auteur avec reproche. C'était le professeur et elle surmonta mon regard. Je rêvais, elle m'avait frappée! Et personne qui ne disait rien! Qu'est-ce que c'était que cette école! Elle déclara avec force "Make sure she doesn't shut her eyes" (Sois sur qu'elle ne ferme pas les yeux). Elle m'appliqua un bandage sur le front.

Je fus ensuite portée jusqu'à un banc au fond de la salle. Mes deux amis, Luke et Jess, m'entouraient avec précaution et j'étais toujours dans les bras de Luke. "Oh Lise I was so worried don't do that to me again I've got to go back to the game. Take care of her!" (Oh Lise j'étais trop inquiète ne me refais plus jamais ça je dois retourner jouer. Prends soin d'elle!). Sa dernière phrase était destinée au jeune homme. Elle nous laissa seuls. Son ton strident m'avait fait sursauté et l'étreinte se resserra autour de mes épaules. Une voix perplexe me parvint: "Lise why did you...? And James? Are you crazy?" (Lise pourquoi tu as...? Et James? T'es folle?)

Sa main vint saisir mon poignet et je tournai la tête vers lui. Son visage s'approcha lentement du mien, ses yeux brûlants descendirent sur mes lèvres. Je compris qu'il allait m'embrasser et un éclair de panique me traversa. Je devais avoir une tête épouvantable avec ma queue-de-cheval à moitié défaite, le bandage sur mon front et le sang séché sur le reste de mon visage. Interprétant faussement ma réaction, il crut que je ne voulais pas et recula brusquement. Chacun détourna la tête et je devins toute rouge, j'avais encore tout gâché - la reine des cruches, le retour.

Je n'osais plus croiser son regard tellement j'avais honte - comment on peut avoir peur d'un baiser? - et les quelques minutes suivantes furent donc très longues à supporter. 

J'envisageai de creuser un trou et m'enterrer dedans lorsque la sonnerie de la cloche me délivra. Une foule d'élèves suants se rua dans un brouhaha vers les vestiaires. Il m'escorta jusqu'au vestiaire des filles et me confia aux bons soins d'une de ses amies, Sally, une brune pétillante au nez retroussé.

Un flux de jalousie me parvint de toute la pièce et toutes les admiratrices de Luke - donc toutes les filles - me tombèrent dessus. "Oh my god...you and Luke...you're so lucky...he's so sexy...I wanna hurt me too..." (Oh mon dieu...toi et Luke...t'as trop de chance...il est trop sexy...je vais me blesser aussi...)

Leurs vois hystériques me donnaient un mal de crâne terrible et je fis semblant de ne pas comprendre - oui, là ça m'arrangeait bien d'être étrangère . Je me hâtai de mettre mes vêtements ordinaires et ce look tout simple pull, jean et van's me fit instantanément me sentir mieux - mon champs de vision avait arrêté de tourner.

Sally empoigna mon sac et me conduisit dehors, jusqu'à Luc, nonchalamment appuyé contre un mur du gymnase. Il me prit par le coude et me ramena à la maison. Il ne prononça pas un mot. J'aurais souhaité remonter le temps. 

Les gaffes, c'était une habitude pour moi. A cinq ans, j'avais gâché la fête d'anniversaire surprise de ma mère en la lui révélant. A 9 ans, j'avais surpris le père d'une amie à batifoler avec une femme. Je l'avais dit à cette amie et ses parents s'étaient séparés. A 12 ans, j'avais dit à une amie complexée qu'elle était moche. On avait frôlé la dépression. Et à 16 ans, j'avais repoussé le mec le plus sexy de l'école qui allait m'embrasser. Je m'en serais frappée la tête sur le mur - mais qu'il me considère encore plus comme une folle n'allait certainement pas m'aider.

Arrivés dans l'entrée, il informa immédiatement Mrs Jones et m'emmena dans ma chambre. Je m'écroulai sur le lit. Une fois encore, il ne me laissa pas me reposer et me redressa. "You must not sleep before the doctor arrives, ok?" (Tu ne dois pas dormir avant que le docteur arrive, ok?) J'acquiesçai gauchement et sortis la seule chose capable de me tenir éveillé: l'album photo de ma famille.

Alors que je contemplais toujours la première page, mes parents posant fièrement avec moi à l'hôpital à ma naissance, le docteur débarqua. C'était un vieil homme grisonnant à l'aspect revêche et il ne m'inspirait pas confiance. Il sortit ses instruments de torture médicale et m'examina - me tripota - sous toutes les coutures tout en assaillant Luke de questions. Il ne m'adressa pas une fois la parole, à croire que je n'en valais pas la peine. Finalement, il rangea ses affaires dans sa mallette et tous me laissèrent seule. Mon état ne devait pas être si grave que ça si on me laissait en paix. 

J'ai toujours été comme ça, dans la moyenne. Ni la plus belle, ni la plus moche. Il ne m'arrivait jamais de choses graves - j'avais perdu deux de mes grand-parents à la naissance et les autres étaient toujours en vie. Mais il ne m'arrivait jamais de trucs géniaux - gagner un concours de chant, être mannequin au défilé du lycée ou encore trouver un billet de cent euros par terre (ce dernier était réellement arrivé à une amie!). J'étais donc fade, je me fondais dans la masse. Aujourd'hui avait fait exception à la règle: le positif, j'avais attiré l'attention de Luke, mais négatif, je m'étais pris James de plein fouet - au sens littéral - et on me prenait pour une folle suicidaire. Ma blessure sans intérêt pour cet éminent docteur - j'aurais peut-être dû m'exploser le crâne, ça l'aurait intéressé - était donc dans la moyenne.

Je repris l'album incomplet à sa dernière photo. Nous étions là, tous les quatre, seulement un mois avant le drame. C'était Noël et nous étions vêtus de chapeaux de Père Noël, souriants et heureux. Ma sœur arborait fièrement un sac rose Barbie à froufrous et Cookie, notre golden retriever tentait d'arracher le nœud papillon en papier cadeau qu'on lui avait mis. Mes yeux mouillés se fermèrent et je sombrai dans l'inconscience.

Dimanche 17 janvier 2016. 

Nous devons aller chez ma grand-tante, une vieille femme acariâtre qui fait des biscuits secs - tellement durs que mon père y a perdu une dent, depuis plus personne n'y touche - et nous tire les oreilles pour nous rendre plus intelligentes. Je refuse, me dispute avec mes parents. "Je vous déteste, laissez-moi vivre!" Une larme coule sur la joue de ma mère, trop sensible. Ils cèdent et partent seuls avec ma sœur et le chien, énervés. Je rejoins une amie qui organise LA fête de l'année autour de sa piscine. 

Mon père conduit vite pour rattraper le retard que j'ai causé. Ils sont attendus à 18h30. La nuit commence à tomber. A 18h20, il ne voit pas le virage. La voiture fonce droit dans le ravin. Des cris. De la douleur. Du sang, beaucoup de sang.

Enfin ça, ce n'est qu'une reconstitution, d'après le compte-rendu des urgences. Tant de mots pour dire qu'ils sont morts. Certains en ont peur, de ce mot, mort, mais pas moi. Dire qu'ils sont partis, ce n'est pas vrai. Partir, c'est de son libre-arbitre. Mourir, c'est ne pas avoir le choix. J'aurais aimé l'avoir, ce choix. Moi ou eux. J'aurais choisi la première option sans hésiter. Une misérable vie contre trois âmes pures - et un chien. Malheureusement les choses ne marchent pas comme ça. Mais je suis dans mon rêve, laissez-moi un choix!

Je me réveille en sursaut, les larmes dégoulinant le long de mes joues. Un cri étranglé m'échappa. Immédiatement, je sentis une présence. On me tendit un verre d'eau et un somnifère puis on me tint la main le temps que je me rendorme.

Je sombrai une nouvelle fois dans les méandres du sommeil. Paisible, pour l'instant.

Forever mine #Wattys2016Où les histoires vivent. Découvrez maintenant