L'entrée du directeur des Ressources Humaines dans la salle, me tire de mes pensées. Je me lève difficilement, mes genoux me font mal et je manque de tomber plusieurs fois. Tout le monde se regroupe, chacun est prêt à entendre son nom. Je décide de rester en l'arrière, bien cachée derrière la blonde décolorée qui m'a précédée dans la salle d'entretien, et ses talons de 20 cm bleus ciel. Je baille largement en silence, heureusement que je suis derrière tout le monde. D'ici, j'entends presque les cœurs battants de tous mes concurrents, certains trépignent sur leurs pieds, d'autres semblent persuadés d'avoir ce stage. Madame Morel nous fait un petit discours sur le travail que le stagiaire devra accomplir. Elle semble enjoué et contente, on voit que son travail lui plaît et la passionne. Face à elle, mes concurrents hommes bombent le torse comme pour montrer leur supériorité, tandis que les filles se recoiffent et arborent leur plus beau sourire. Lorsque Henri DeMont reprend la parole, les respirations se coupent, seul le bruit de la climatisation brise ce silence parfait.

- Nous avons pris une décision, nous sommes tous d'accord sur la personne qui va travailler ici. Nous saluons les parcours et les capacités de chacun d'entre vous mais nous avons dû faire un choix. Le stage de 6 mois avec un CDI à la clé est donné à une personne qui nous paraît volontaire et brillante et qui apportera, nous l'espérons, un nouvel angle de vue à notre entreprise... Mademoiselle Voulay.

Je sens tous les regards converger vers moi, ma nouvelle amie au piercing de dent me serre le bras comme pour me féliciter, alors que le directeur me cherche du regard. Je ne sens plus le sol, je ne sais plus où je suis.

Je reprends conscience de mon corps grâce à la chaleur du bureau de Julien Grange, de la créa, et peut-être aussi grâce à son parfum enivrant qui me rappelle à quel point il est sexy. Il remplit ma convention de stage, la signe et me donne mes horaires de travail.

- Vous travaillerez dans le bureau à côté du mien, me dit-il en me le désignant du doigt alors qu'il m'accompagne jusqu'à l'ascenseur.

Lorsqu'il me sourit en me saluant, je me sens rougir. Je ne peux cacher mon enthousiasme à l'idée de travailler avec lui.

Je sors conquérante des locaux de Publifashion avec un stage en poche et une certaine satisfaction qui se lit sur mon visage. 1h15 me sépare de mon appartement, je décide alors de rentrer à pied, il fait beau et plutôt bon et je suis trop heureuse pour aller me perdre dans les méandres du métro. Je vais passer par l'opéra et les Tuileries. Ces quartiers que j'adore. Après tout il n'est que 16h, j'ai encore du temps devant moi. Sur la route je m'arrête à chaque vitrine, rêvant de tout ce que je m'offrirais une fois embauchée en CDI chez Publifashion. 1.2.3, Lancel...des magasins qui m'ont toujours fait rêver mais dans lesquels je n'ai encore jamais mis les pieds...faute de moyen. Et puis je passe, devant le Louvre, dans les Tuileries où les œuvres d'art contemporaines se multiplient. Les touristes sont encore assis sur les chaises entourant les fontaines, les parisiens, eux, courent encore et toujours dans les larges allées qui longent le jardin. Le musée de l'Orangerie va fermer et le Jeu de Paume s'apprête à recevoir une nouvelle exposition dédiée à Laure Albin Guillot.

Le soleil commence à disparaître derrière les immeubles de la place de la Concorde, les voitures ont mis leurs phares et au loin, l'Avenue des Champs Élysées s'illumine. Mon âme, radieuse, se perd, cette ambiance me donne envie de danser. Je me suis toujours rêvée danseuse. Une danseuse d'opéra, tellement belle, grande et talentueuse que tous les photographes s'arracheraient mes faveurs. Je viendrais ici, habillée d'une longue robe blanche, les cheveux tombant sur mes épaules, la musique dans ma tête, et je danserais, entouré de ces milliers de couleurs. Je me sentirais libre, les passants s'arrêteraient pour me regarder et mon photographe ne prononcerait pas un mot, bercée par mes propres pensées je me laisserais aller. Le lendemain, je découvrirais ces photos, où les lumières des voitures souligneraient et sublimeraient chacun de mes mouvements. Puis, je prends le pont de la Concorde d'où j'admire à nouveau, les Tuileries, le Louvre et la Seine qui passe sous mes pieds. Enfin, le Boulevard Saint-Germain s'offre à moi, il est temps de rentrer et de tout raconter à Émilie, avec qui je vis depuis septembre. Je monte les 7 étages et je la retrouve dans notre salon avec ses cours devant elle, mais elle ne semble pas travailler. Elle paraît pensive ce qui m'étonne car elle est très vive d'habitude. Émilie est une fille d'une taille moyenne qui s'habille « en s'inspirant de la mode mais sans être à la mode », elle achète tous ses vêtements en solde, l'année suivante. Étudiante en art plastiques, elle rêve de devenir professeur et est venue à Paris car c'est une ville de rêve pour quelqu'un qui adore l'art. C'est grâce à elle, qui habite Paris depuis 5 ans maintenant, que j'ai pu découvrir la ville sans trop de mal. Nous nous sommes tout de suite entendues, et notre coloc semble fonctionner du tonnerre. C'est aussi elle qui m'a trouvé l'annonce de stage pour Publifashion et qui m'a poussé à y aller alors que je pensais demander dans une entreprise de province. Cela lui tient à cœur de savoir si elle a bien fait de m'encourager. Encore plus étonnant, le salon est rangé, l'ensemble de l'appartement aussi, c'est très rare car elle touche très rarement un balais et n'est pas ordonné.

Dépendance amoureuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant