Chapitre 1-02 : Rhys

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Ils se dévisagèrent.

Tous deux portaient des manteaux aux coupes similaires, mais brun pour Rhys et d'un mélange élégant de gris argenté et de noir profond pour l'autre. La matière du vêtement du passant semblait également plus lourde et résistante. Au gilet et à la chemise écrue de Rhys répondaient une sous-veste d'ébène avec des boutons bombés à l'éclat poli ainsi qu'une chemise dentelée d'une blancheur impeccable.

Au-delà de leurs tenues qui témoignaient d'un décalage de niveau social, mais d'un certain goût commun, Rhys se sentit troublé par le visage de son... alter ego ? Un passant aurait pu croire, en les voyant côte à côte, à deux cousins ou à deux frères.

Si semblables et pourtant si différents...

Tous deux paraissaient âgés d'une trentaine d'années. Leur taille était comparable, cependant Rhys présentait une silhouette quelconque tandis que l'allure de l'inconnu s'avérait plus élancée et ses mouvements plus graciles. Ils étaient imberbes tous les deux alors que l'usage dans le Sud-Ouest prônait la moustache ou le bouc. Ils arboraient presque les mêmes formes de nez, de sourcils, de bouche, de contour des joues et du menton. Néanmoins, les traits de son vis-à-vis relevaient d'une délicatesse et d'une perfection du grain qu'il ne possédait pas.

Rhys était fier de ses cheveux châtain clair très fins, mais à cause des affres de la mode, la gomina et sa coupe tirée en arrière sous son chapeau ne lui rendaient pas justice face à l'aspect aérien de la tignasse blonde de son interlocuteur. Ce rideau doré cascadait librement jusqu'au haut de ses épaules et aucune mèche ne venait barrer son front même quand présentement il inclinait la tête, absorbé dans leur contemplation mutuelle.

Le sourire permanent de l'inconnu et la flamme douce dans ses yeux gris pur éclairaient son visage pâle. Rhys avait une peau aussi blanche, mais, chez lui, elle invitait à croire qu'il travaillait nuit et jour dans de sombres bureaux poussiéreux. De plus, il se sentait actuellement si fatigué que sa bouche aux coins immobiles devait lui conférer un air réservé, voire morne. Que de différences induites par le jeu d'un simple pli des lèvres !

S'ils avaient vraiment été frères, leur mère aurait vibré d'amour pour un fils aussi beau que le blond et Rhys n'aurait jamais tenu la comparaison. Les sœurs de leurs amis se seraient languies pour cet élégant au visage ouvert. Cet homme devant lui incarnait ce qu'il aurait pu être en naissant avec une sublimation de son propre physique.

— Vous avez des yeux magnifiques. Ensorcelants.

Rhys sursauta.

Il ne s'attendait absolument pas à ce type de commentaire de la part de cet inconnu qui lui paraissait tant supérieur. Le blond sembla réaliser ce qu'il venait de murmurer, en public, avec un air conquis. Il éclata de rire. Un rire franc, brillant, spontané, aussi musical que le timbre doux de sa voix.

Il plaça le dos de sa main devant sa bouche et son nez afin de contenir son hilarité. Cependant, de l'amusement dansait toujours dans ses yeux gris limpides.

— Je suis désolé de ma réflexion ! Je suis tête en l'air et il advient fréquemment que j'exprime tout haut le cours de mes pensées. Je ne vous ai pas choqué au moins ?

— Ce n'est pas le genre de remarque qu'un homme me fait d'habitude dans la rue.

— Certes, certes, concéda l'autre.

Il semblait goûter l'attitude en retrait de Rhys avec un humour que ce dernier ne partageait aucunement.

— Mais, c'est que vous avez vraiment des yeux superbes. Magiques.

Cette fois, Rhys se demanda comment réagir, il scruta les environs à la recherche de son fiacre.

— Je vous effraie ? s'inquiéta le blond dont l'attention se porta sur la porte numéro 4 de la gare. Vous venez d'arriver dans notre ville ? Les gens d'ici risquent de vous paraître un peu étranges, vous savez ?

— C'est le moins que l'on puisse dire, laissa échapper Rhys.

— Je le conçois en effet ! rit l'élégant. Et je suis sans doute un des pires cas. Enfin, ne m'en veuillez pas pour mes paroles de tantôt. C'est simplement que vous avez les mêmes yeux que mon épouse. Quoique, si ceux de ma Lisbeth sont d'un bleu céruléen identique aux vôtres, ses iris sont pailletés d'argent alors que je note plutôt une nuance d'or chez vous.

— Sans doute, concéda Rhys en se demandant comment couper poliment court à cet échange.

— Je vous inquiète vraiment... remarqua son interlocuteur. Dommage, car je vous aurais volontiers invité dans un salon pour un thé afin de discuter un peu. De vous. De tout, de rien. Et aussi pour m'excuser de notre bousculade...

— Vous êtes tout pardonné, coupa Rhys.

— M'sieur Rhys ? Vous êtes le type qui va à Overlake ?

— Oui, c'est bien ce monsieur-là !

Au son des deux voix, ils avaient tourné la tête et Rhys soupira de soulagement. Enfin, le jeune porteur de la gare se tenait là, juste à côté d'une calèche dont le conducteur avait chargé ses malles à l'arrière.

— Mais Overlake, c'est son nom, pas sa destination, expliqua l'adolescent au cocher.

— Mon véhicule, s'excusa Rhys pour prendre congé.

— Je vois, approuva le blond qui sortit soudain de sa poche un étui argenté.

Rhys prit sans y penser la carte de visite qu'on lui tendait. Le rectangle blanc ne comportait aucune indication. Par contre, le carton était épais et, en son centre, un cercle en relief mettait en évidence une gravure : un cerf qui fixait l'observateur, la patte avant relevée, les bois hauts et fiers.

— Et puis, conclut le blond, ce n'est pas comme si moi-même je n'avais pas un rendez-vous ce soir.

Il jeta un coup d'œil à l'enveloppe et à la missive qu'il avait reçues, puis les enfourna dans sa poche où il récupéra ses gants. Le blond les enfila et, sa canne de nouveau en main, s'apprêta à partir.

— À plus tard, Rhys Overlake ! Je ne doute pas que nous nous reverrons très bientôt ! Si vous avez besoin d'aide ou de guidance dans cette ville, n'hésitez pas à me quérir à l'atelier Spirit oak.

Le blond s'était déjà retourné et lui adressait un dernier salut tandis qu'il s'éloignait.

— Et je demande qui ? s'enquit Rhys sans savoir pourquoi.

— Le nom que vous avez lu sur l'enveloppe avant de me la rendre ! rit l'inconnu.

Else Other ?

Rhys ne put demander confirmation, car la silhouette de l'élégant se perdit dans la foule. L'écho de son rire se noya dans le brouhaha qui emplissait désormais la rue. Un train avait dû arriver, car une masse compacte de voyageurs émergeait par la porte annexe de la gare. Rhys s'écarta de quelques pas pour éviter d'être bousculé par les plus pressés d'entre eux.

Le chauffeur du coche, d'un ton un peu rude, demanda à Rhys s'il était enfin prêt à partir. Il marqua son accord d'une inclinaison du chef et donna un généreux pourboire au jeune porteur qui fondit en remerciements. En montant dans le véhicule, Rhys ne put se défaire d'un ultime regard en arrière, mais impossible d'apercevoir à nouveau cet étrange individu.

— Et alors, grogna le conducteur, vous allez où ? Pas dans le quartier d'Overlake ?

— Non, confirma-t-il en revenant à la réalité. Amenez-moi au poste de police central.

*

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⏰ Dernière mise à jour : Sep 20, 2016 ⏰

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