Mensonges

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Assise toute seule en haut de la tour d'Astronomie, Rose retournait encore et encore la lettre entre ses doigts. Elle était signée de la main de sa mère. Pas grand-chose, vraiment. Rien que quelques petites lignes sur la vie à la maison, son travail au Ministère, les préparatifs de Noël, et un dessin qu'Alice avait réalisé avec toute la splendeur du style bâtonnets.

Néanmoins, ce genre de lettre, c'était la première que Rose recevait depuis des années.

Au début, juste après le divorce de ses parents, sa mère lui en envoyait une presque tous les jours. Une façon pour Hermione de tenter de renouer le contact avec une fille qui ne voulait plus entendre parler d'elle. Rose n'avait répondu à aucune de ses missives. Mais elle les avait toutes lues. A l'époque, une part de sa rancœur de petite fille aurait voulu avoir la force de brûler ces lettres sans même les ouvrir. Mais ç'aurait été trop dur pour elle. Elle n'avait que onze ans, et qu'elle veuille bien l'admettre ou non, sa mère lui manquait.

L'indifférence avait fini par payer néanmoins. Au bout d'un moment, les lettres s'étaient espacées, puis avaient cessé. Depuis sa quatrième année, Rose ne recevait plus qu'une carte pour son anniversaire, le dix janvier. Extérieurement, c'était une victoire pour elle. Intérieurement, une blessure de se voir abandonner. De voir sa mère baisser les bras, cesser de lutter.

Avec du recul à présent, Rose jugeait ces désirs contraires en elle comme un profond égoïsme. Elle n'avait jamais été capable de dire clairement ce qu'elle voulait. Elle se l'était même caché à elle-même. Aujourd'hui, elle ne reniait plus le bonheur étrange et douloureux qui s'était emparé d'elle, lorsque pour la première fois en presque quatre ans, sa mère lui avait écrit une lettre simplement pour lui donner de ses nouvelles et en demander des siennes, sans arrière-pensées, sans rien en retour.

Enfin si, il y avait des arrière-pensées, bien sûr. Hermione voulait lui tendre la main après leur conversation sur le toit de l'hôpital. Mais elle ne s'en cachait pas : l'intention était comprise dans la lettre elle-même, et de toute façon, c'était une bonne intention. Rose ne savait pas quoi lui répondre. Mais elle savait qu'elle lui répondrait.

Jetant un coup d'œil au dessin, Rose sourit distraitement. Avec toute la naïveté de l'enfance, Alice avait dessiné son père, sa mère et ses frères et sœur côte à côte, souriant et se tenant par la main, leurs cheveux jaunes, oranges ou bruns s'envolant au-dessus de leurs têtes comme des flammes. Rose s'était vue gratifiée d'une robe violette – couleur qu'elle ne se risquerait jamais à porter – et Hugo lui souffrait visiblement d'un excédent de doigts à la main gauche. Scorpius était représenté tout à droite, tenant la main de Rose. Cela la fit sourire, en souvenir de cette nuit où ils s'étaient effectivement tenu la main ici à cet endroit même.

En regardant plus attentivement, Rose se rendit compte que Scorpius était le seul qu'Alice avait représenté avec un nœud papillon. Ce devait être le seul moyen pour son jeune âge de retranscrire l'allure irrésistiblement flegmatique de son frère aîné, et une fois encore, Rose se surprit à sourire.

Alice avait poussé le sens du détail jusqu'au bout, puisque malgré ses quatre ans, elle avait eu conscience de faire partie d'une famille étendue, recomposée. Près de Scorpius, elle avait représenté dans une jolie robe à fleurs Astoria et son conjoint Henri. L'ancienne épouse Malefoy arborait le ventre rond qui vaudrait à Scorpius une nouvelle demi-sœur d'ici février. Et près d'Hugo, dans un style vaguement hésitant, Alice avait dessiné un bonhomme souriant au-dessus duquel elle avait écrit : « Papa Weasley ».

Soudain, Rose fut prise de sanglots et elle écarta le dessin. Cela l'avait saisie sans prévenir. D'un seul coup, c'était devenu tout simplement trop. L'innocence d'Alice, son insouciance mais aussi son ignorance de la situation de Ron, l'avait conduite à le représenter tenant la main de son fils, souriant comme tous les autres. Et c'était ainsi qu'il aurait dû en être. Toujours ainsi.

A Coeurs Perdus : 2e Génération (Scorose)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant