Chapitre 3

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Une mâchoire brute et des cheveux aux mèches sombres apparaissent lentement sous mes coups de crayon. Puis une bouche aux lèvres fines. Au moment où la mine effleure la feuille, sur la gauche du visage, là où devrait se trouver l'œil, elle s'arrête. Je ne sais pas. Je ne sais plus. Je n'ai aucunes idées de la forme de l'œil, de sa couleur, de l'épaisseur des cils, la paupière ni la taille de l'iris. Je ne sais tout simplement pas. Comme toujours. J'ai dessiné les sourcils. Des sourcils épais et fournis. Cela doit bien faire quelques mois que je dessine sans arrêt ce portrait. Celui d'un homme aux cheveux noirs, plaqués sur le côté gauche, possédant des lèvres fines, un nez aquilin et un grain de beauté en haut de la pommette droite. Et puis un espace vide au niveau des yeux. Rien. Le néant. Chaque fois. Je dois bien avoir une dizaine de portraits sans yeux. Sans regard. Je ne sais pas d'où me vient ce visage masculin. Je n'ai jamais rencontré la personne dessinée, et pourtant j'ai l'impression de la connaître. Je ressent un étrange malaise devant ce portrait.
La sonnerie me sort de mes pensées et je tourne un regard vers ma feuille ou l'on distingue un léger point gris au milieu d'un visage dans regard. Je m'empare du papier et le fourre dans mon cahier que je range dans mon sac avant de sortir de la salle presque vide. April m'attend accompagnée de Jess. Sitôt à portée de voix, Jess m'accapare.

- bon, les mecs ont désertés. On va voir le nouveau ?
- partons à la recherche du psychopathe !

Renchérie April, le bras tendu devant elle.

- allez. April, Jess, je déclare la recherche du tueur ouverte.

Et c'est dans une bonne humeur palpable que nous partons à la recherche de ce nouveau patient. Alors que nous pénétrons dans la petite cour intérieur, un attroupement attire notre attention. Quelques cris attirent notre attention. Nous nous approchons du groupe de personne, formant un cercle autour de deux personnes. Deux jeunes hommes sont au centre de l'attention. Ils ont l'air d'être en désaccord, les sourcils froncés. Les gens autour d'eux clament à la " baston ". L'un des deux est Tray. Un des plus grand embrouilleur que la terre n'ait jamais porté. Le deuxième garçon je ne l'ai jamais vu. Étant donné que nous ne sommes pas beaucoup dans l'hôpital, je  pense que ça doit être le nouvel élève. Je le détaille. Il possède une mâchoire carré, des cheveux bruns décoiffés, des yeux sombre, il doit faire à peu près la même taille que Tray et les muscles de ses biceps sont légèrement voyant sous les manches courtes de son tee shirt blanc. Il porte également un jean usé, presque délavé bleu foncé et une paire de basket basse noires. Des Nike. Je tourne mon regard vers Tray, qui, un sourire mesquin aux lèvres, parle au garçon d'un ton provoquant.

- et ben ? T'as peur de moi ? T'as perdus t'es couilles ? 
- ferme la.

Je les vois s'énerver. La tension est palpable. Ils ne vont pas tarder à en venir aux mains. J'ai toujours eue envie de coller une droite à ce pervers de Tray. C'est lui qui a découvert le trou dans le vestiaire des filles. Ce qui lui a valut une dent de cassée. Par ma faute. Cet idiot continu dans ses propos provoquant. Je le sens, ils vont vraiment en venir aux mains. Et puis d'un coup, comme ça, comme la foudre tombant, une main part. Puis une deuxième, et ça part vraiment en altercation physique. J'hésite à intervenir, sentant mon sang bouillir. April pose sa main sur mon bras.

- Alex, on s'en va.

Quelques gouttes de liquide écarlate, provenant de la bouche d'un des deux garçons éclaboussent les dalles à mes pieds. Je sens mon sang cogner contre mes tempes. Quelques points blancs s'immiscent dans mon champ de vision. Et là, je sais que c'est trop tard. Je le sens. Je dois partir, au plus vite. Alors je me défais de la légère emprise d'April et trace mon chemin vers le centre, bousculant les balourds accumulés devant le spectacle. Je ne suis plus qu'à quelques centimètres de la rafale de coups. Je perçois légèrement un ralentissement des coups, puis un arrêt total du côté ou de trouve le nouveau. Quant à Tray, je reçois son poing sur ma joue gauche. Je sens un léger effleurement sur la commissure gauche de mes lèvres. J'y passe le bout des doigts avant de le porter devant les yeux. Une tâche écarlate les tâchent. Je pose lentement mon index sur ma langue, goûtant au liquide de la vie. Le tout sous le regard surpris de Tray. Un silence c'est soudainement abattu, bien que je m'en rende vaguement compte.

- oh, Alex. Comment ça va ?
- Tray.
- tu peux te pousser que je finisse d'éclater ce batard ?
- Tray.
- dégage Alex.
- lâche le.

Une main de pose sur mon épaule. C'est le deuxième garçon.

- pars, j'ai pas besoin de ton aide.

Je me retourne entièrement vers lui. Du sang s'écoule légèrement de sa commissure droite, quelques gouttes sont venu s'échouer sur le tissu blanc de son tee-shirt.

- tu saigne.
- ah ouais, un peu.
- ça fait mal ?

Il s'essuie les lèvres, d'où coule un léger filet de sang. J'ai les yeux fixé sur le liquide poisseux. J'avance la main, touchant d'un doigt tremblant sa lèvre inférieur. Elles sont charnues. Ses lèvres. Charnues et ouvertes. Cette même ouverture d'où s'échappe le sang. Le doigt toujours posé sur sa lèvre, je récolte du liquide rougeâtre, en appuyant légèrement, influant sur le flux sanguin. Je sens le regard du garçon sur moi. Son regard me brûle, m'inspecte quand je retire mon index pour le porter devant mes yeux. Obnubilée. Alors je lève mon regard vers les yeux sombre de cet inconnu. Des yeux d'un gris sombre tirant vers le bleu, sans fond. Au milieu de ces nuances de gris se trouvent quelques points d'un bleu tirant également sur le gris. Nous sommes encore les yeux dans les yeux quand je porte ce même doigt rougis à ma bouche. Je le dépose sur ma langue, refermant mes lèvres dessus. Le goût métallique de répand dans ma bouche. Une cicatrice blanchâtre s'étend de sa tempe à son sourcils gauche, ayant déviée la repousse du poil. J'entrouvre des lèvres tremblantes, légèrement, juste un peu pour me permettre d'en extraire mon index. Son regard à changé. Il est étrange. Il me fixe toujours, mais d'un autre air. Puis, rompant le silence présent, je me retourne et pars en courant, le goût du sang toujours présent.
Alors je suis déjà à quelques mètres, j'entends que les langues se sont déliées. Les conversations on repris, plus animé. Un mot tourne sans cesse. Pourquoi.
Oui, pourquoi ? Pourquoi ai-je fais ça ? Pour quelles obscures raisons ai-je réagis d'une telle manière ?
Je n'en ai pas la moindre idée. Du sang... Oui. Le sang. Ce liquide écarlate et poisseux. Le liquide de la vie. Celui qui l'a donne où qui l'enlève. Grâce à lui tu vis. Sans lui tu meurs. Si précieux et pourtant si simple à dérober. D'une coupure, d'un coup, tu le perds. Une obsession. Une obsession étrange. Une peur. Mais une peur qui ne te fais pas fuir. Une peur qui t'obsède, qui te donne envie de rester, de regarder, mais en même temps l'envie de fuir est omniprésente. Mes yeux piquent.
Y penser me fait peur. Et c'est cette même peur qui me pousse à courir, à fuir.
La peur. Ce sentiment omniprésent. Tu passe ta vie à avoir peur. Peur de ne pas manger. Peur de ne pas réussir. Peur de ne pas avoir de travail. Peur de la maladie. Peur de mourrir. Peur de vivre. Peur de tout. Le monde d'aujourd'hui fait peur. Il nous donne tant de raison d'avoir peur.
La peur de ne pas trouver le bonheur. Et quand tu le trouve enfin le bonheur, tu as peur de le perdre.
De la peur.
Oui c'est ça, j'ai peur.
J'éprouve de la peur.
Pour une fois, j'ai vraiment peur.
Sans savoir pourquoi.
Et c'est de ne pas savoir, qui me fait peur.

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