Ce dimanche matin, comme tous les matins, j'ouvris péniblement les yeux. À peine avais-je entrouvert mes paupières que j'aperçus, sur le mur en face de mon lit, ma dernière oeuvre. Ce magnifique cheval sauvage tout droit sortit de mon esprit que j'avais imprimé de ma main sur ce mur, quatre jours auparavant. Cette nuit encore, en continuité à toutes mes nuits cette semaine, mes démons m'avaient foutu la paix; je n'avais pas aussi bien dormi depuis trois ans et, putain que ça faisait du bien! Pouvoir s'endormir rapidement et sans crainte, ne pas se réveiller en sursaut au milieu de la nuit, ne pas avoir à changer les draps tous les jours à cause de la sueur de chacune de mes nuits... Tout ça était nouveau pour moi.
Comme tous les matins depuis quatre jours, je restai quelques instants dans mon lit, à contempler béatement la bête d'encre grandeur nature qui me faisait face. Cette image avait le pouvoir de me vider la tête, de m'emplir d'un de ces sentiments de bien-être comme je n'en avais pas connu depuis longtemps. J'étais bien. J'étais serein et apaisé. J'étais heureux.
Et, cela commençait également à être une nouvelle habitude, la pensée de Maud, la cavalière rousse, sur son beau cheval Knight, finit de me réveiller et m'extirpa du lit.
Étouffant un long bâillement témoin de la très bonne nuit que j'avais passée, je m'étirai et ouvris les volets. Le soleil matinal m'aveuglait toujours autant, mais désormais je ne me sentais plus agressé, au contraire: cela fit naître un sourire. Il faisait beau aujourd'hui, encore une belle journée qui s'annonçait. Quand était la dernière fois que ce genre de pensée m'avait traversée? Je n'en avais aucune idée...
De bonne humeur, j'enfilai un short de sport et un t-shirt avant de descendre au salon rejoindre mes parents. Mon père était avachi dans le canapé, les yeux rivés vers la télévision, totalement absent. Ma mère, assise à la table de la cuisine devant sa tasse de thé, leva les yeux quand elle m'entendit approcher. Les commissures de ses lèvres remontèrent légèrement, mais ses yeux étaient éteints. Cette scène ne m'étonna pas le moins du monde: c'était la même depuis des années.
Je me dirigeai alors vers le frigo et me servis un verre de jus d'orange. En prenant des cookies au passage, j'allais m'asseoir aux côtés de mon père pour regarder je ne sais quel programme tout à fait débile à la télévision. Bien que je savais ce geste inutile, je ne pus m'empêcher de lancer:
« Bonjour! »
Surpris par cette parole qui brisait le silence coutumier, mon père daigna enfin tourner la tête vers moi, le visage vidé de toute expression. Il me détailla alors des pieds à la tête, comme s'il ne m'avait pas vu depuis des jours, puis il déclara:
« Va te changer. Tante Magalie et oncle Ross déjeunent avec nous aujourd'hui. »
Cette nouvelle m'arracha une grimace. Non pas que je n'appréciai pas mon oncle et ma tante, simplement chacune de leurs visites se terminaient dans les pleurs, et assister à cette scène sans être pour une fois dans le même état de tristesse et de désespoir que le reste de la famille était loin de m'enchanter: j'étais en train de réussir à me sortir de ce putain de trou, je n'avais donc pas spécialement envie d'y replonger.
Cependant, je n'avais pas vraiment le choix. Alors, je remontai dans ma chambre pour opter, comme mon père me l'avait ordonné, pour une tenue plus décente — un jean et une chemise. Je trouvai ça un peu vieux jeu de devoir bien s'habiller pour recevoir de la famille mais je ne bronchai pas. Nous avions notre dose d'ambiance à faire fuir les morts dans cette maison. "A faire fuir les morts..." cette expression m'arracha un petit rire jaune lugubre tandis que je boutonnai ma chemise.
Fin prêt et n'ayant pas le moins du monde envie de retourner vivre dans le salon avec mes vieux qui d'ailleurs n'étaient plus vraiment là, je restai donc dans ma chambre, et passa la matinée avachi dans mon lit, les écouteurs enfoncés dans les oreilles, feuilletant Cheval Magazine jusqu'à ce que la sonnette de la porte d'entrée annonce l'arrivée de nos invités.
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Wordless Rider
Teen FictionParfois, des catastrophes arrivent, laissant des séquelles profondes qui peut-être jamais ne guériront. Adrien, trois ans après la catastrophe qui lui ôta en partie la parole, déménagea à la campagne dans l'espoir de tracer un trait sur son passé et...