Gentleman honnête et fortuné cherche jeune homme de bonne famille pour correspondance en vue d'un mariage, si affinités.
Annonce passé dans le Morning Chronicle.
Saison de 1810, quelques jours plus tard
-Non ! Non ! Non ! S'exclama Lord Severus Snape comme le majordome apportait un second panier de courrier dans le salon de petit déjeuner.
Assez de ces fichues lettres ! Brûlez-les, Benley. Emportez-les hors de ma vue !Sa sœur jumelle, Lady Juniper - anciennement Lady Iris Snape-, leva les yeux de son thé et s'efforça de ne pas rire en voyant ce pauvre Benley planté sur le seuil, hésitant, une grande corbeille d'osier débordant de missives dans les bras.
- Posez-les à côté des autres et n'écoutez pas Sa Seigneurie, Benley. Il est de mauvaise humeur, ce matin.
De mauvaise humeur ? "Fuieux" aurait été plus approprié, aurait aimé dire Severus à sa sœur. Mais il préféra reporter sa colère sur le véritable objet de son courroux.
- Je vais finir par te tuer, Tom.
A l'autre bout de la table, Tom, le neveu de Severus et Iris, qui était aussi duc de Prince et donc le chef de la famille, se cacha derrière son journal en feignant de ne pas être concerné.
Si seulement il avait été aussi innocent qu'il cherchait à le paraître...
C'était loin d'être le cas. Tom était devenu la bête noire de Severus. Non seulement son comportement licencieux - il avait terni la réputation de pas moins de cinq demoiselle au cours des dernières semaines - l'avait placé sur la liste des "indésirables", mais cette infamie s'était à présent étendue à Severus et Iris, qui du jour au lendemain s'étaient vu reléguer dans les rangs des "tout juste acceptables".
Coupables par association apparement.
- Tu ne peux pas tuer Tom, intervint Iris.
Elle s'essuya la bouche puis reposa sa serviette près de son assiette avant de reprendre:
- Je te rappelle que tu es son héritier. Ce serait mal vu.
-Oui, très mal vu, mon oncle, lança Tom par-dessus son journal.
Tom n'appelait Severus " mon oncle " que quand il voulait le faire enrager -ils n'avaient que six mois de différence, le grand-père de Tom ayant conçu les jumeaux à un âge tellement avancé que c'en était indécent, faisant ainsi de Severus l'oncle d'un des plus grands libertins de Londres.
Si Tom voulait jouer au neveu modèle, Severus allait lui en donner pour son argent. Il lui décrocha un regard noir et déclara :
- Si quelqu'un est mal vu, c'est toi et ton imbécile de compagnon Lucius. Qu'est ce qui vous a pris de passer cette annonce ridicule dans le Morning Chronicle ?
Une toute petite annonce - une blague d'ivrognes - qui avait récolté une avalanche de réponses.
Severus était enseveli sous les lettres de jeune homme en quête de mari.
- Tu devrais me remercier, souligna Tom. Maintenant tu peux te choisir un époux sans avoir à mettre le pied à l'Almack.*
- Te remercier ? Je ne veux pas me marier, rétorqua Severus. Ce sont tes affaires. Pourquoi n'épouses-tu pas l'une de ces commères, toi ?
Tom le dévisagea, une étrange lueur dans les yeux.
- J'ai peut-être déjà rencontré la commère qu'il me faut.
- C'est la meilleure ! S'exclama Severus. Tu es en train de nous dire que tu as l'intention d'épouser cette fille de vicaire avec qui tu badines ?
Iris intervint avant que Tom ait pu répliquer.
- Severus, tu devrais être content que Tom n'ait pas passé cette malheureuse annonce dans le Times.
Elle esquissa un sourire, avala une gorgée de thé et se carra dans son fauteuil avant de poursuivre :
- Personnellement, je trouve cette annonce plutôt insipide.
- Insipide ? Se plaignit Tom en fusillant sa tante du regard avant de renfermer son journal d'un geste sec. Je ne suis jamais insipide.
- Fastidieuse, alors, corrigea-t-elle. Je ne comprends pas que l'on puisse répondre à des âneries pareilles, et encore moins envisager d'épouser un homme qui se décrit comme " honnête ".
Elle se tourna vers Benley, qui était en train de poser le panier de courrier près d'un autre, arrivé un peu plus tôt.
- Combien de cœurs solitaires peut-il y avoir à Londres ?
- Cela va faire plus de deux cents, maintenant, milady, affirma Benley en considérant avec circonspection les lettres dont émanaient des parfums discordants de musc blanc et de lys.
Monseigneur, ajouta-t-il à l'intention de Lord Severus, le valet de Lady Taft aimerait savoir si vous comptiez régler la facture pour les frais d'envoi de ces lettres. Madame n'apprécie pas de payer leur réexpédition. Apparement, le journal est maintenant livré jusque dans les comtés voisins.
- Les lettres arrivent chez toi à Mayfair ? demanda Iris en ouvrant de grands yeux.
- En effet, confirma Severus.
- Je n'ai pas été assez stupides pour utiliser cette adresse, expliqua Tom. Vous imaginez le raffut, les interruptions permanentes ?
Il frissonna à cette idée et retourna à son journal.
- C'est exactement pour cela que Lady Taft est agacée, dit Severus. Quand elle a pris ma maison pour la saison, je lui ai promis qu'elle ne trouverait pas endroit plus calme.
Ladite demeure, sur la respectable - et autrefois très calme - Cumberland Place, était une vaste résidence que Severus avait héritée de sa mère, mais dans laquelle il n'avait pas encore mis les pieds. Iris ( lorsqu'elle était entre deux maris), Tom et lui vivaient très confortablement dans la résidence officielle des Snape à Harley Street, juste au coin de Cavendish Square. C'était une excellente adresse qui possédait tout le confort d'une demeure ducale ; Severus ne voyait donc pas de raison d'investir sa propre maison. En outre, il percevait un loyer d'un montant indécent pour sa maison de Mayfair, si bien située - bien que, en l'occurrence, cela semblât remis en question. De nouveau, il adressa un regard noir à son neveu, mais Tom était trop occupé à étudier son journal pour relever ce geste.
Sans doute était-il à l'affût de commérages concernant... Eh bien, lui-même.
Franchement, qui aurait donné tort à Lady Taft de menacer de résilier son bail alors que la sonnette d'entrée retentissait chaque fois qu'arrivaient ces fichues lettres ?
Toutes adressées à "un gentleman honnête".
En cet instant, Severus se sentait tout sauf honnête.
Il écarta sa chaise et se leva de table pour traverser la pièce à grands pas, puis attrapa l'un des paniers et se dirigea vers la cheminée.
- Seigneur ! s'exclama Iris en se dressant d'un bond. Que fais-tu ?
Même Tom avait posé son journal et le dévisageait, bouche bée.
- A ton avis ? Demanda Severus, planté devant l'âtre. Je vais tout brûler.
Vive comme l'éclair dans ses sombres vêtements de deuil, Iris fondit sur lui et lui arracha la corbeille des mains.
- Tu ne peux pas faire ça.
Severus tenta bien de lui reprendre le panier, mais il avait affaire à Iris - sans doute la plus opiniâtre des femmes Snape, toutes générations confondues.
Elle se tourna pour mettre le courrier hors de sa portée.
- Les jeunes hommes qui ont écrit ces lettres l'ont fait avec cœur, dit-elle en posant un regard sévère sur son frère puis sur le panier. Ils attendent une réponse de ta part. Tu ne peux pas tout brûler sur un mouvement d'humeur. Tu dois leur répondre. À chacun d'entre eux.
Severus ne lui prêta qu'une oreille distraite. Il espérait secrètement que le parfum capiteux des enveloppes monterait à la tête de sa sœur et lui ferait lâcher prise. Avec un peu de chance, quand elle serait gisante sur le sol, il aurait le temps de tout envoyer dans les flammes avant qu'elle revienne à elle.
Pourtant, même l'image réjouissante de ces lettres enfin réduites en cendres ne suffit pas à occulter ce que Iris venait de lui dire - ce qu'elle lui demandait, à vrai dire : répondre à tous ces hommes.
Severus se figea. Leur répondre ? A chacun ?
Tom, lui, semblait trouver l'idée fort amusante.
- Oui, Severus, je suis tout à fait d'accord. Tu ne voudrais quand même pas décevoir ces jeunes hommes ? Ce ne serait guère honnête.
Severus ignora le duc et se tourna vers sa sœur :
- Sérieusement, tu n'envisage pas que j'écrive à tous ces hommes ?
- Mais bien sûr que si ! Chacun de ces pauvres chers petits attend ta réponse. Ils sont probablement en train de guetter l'arrivée du courrier à l'instant où je te parle.
Il laissa échapper un soupir dédaigneux en songeant à ces vieux garçons éperdues disséminés dans Londres - et, à en croire les adresses d'expédition, dans une bonne partie de l'Anglettere -, assis sur le pas de leur porte dans l'espoir que le véritable amour leur parviendrait sous forme d'un bout de papier scellé à la cire.
- C'est ridicule.
- Pas du tout, rétorqua Iris sur un ton qui ne souffrait aucune contradiction.
Elle posa la corbeille sur la table et commença à fouiller dans les lettres.
- Tu te rappelles dans quel état j'étais quand Lord Michaels me courtisait, et combien j'étais désespérée quand il m'a laissé sans nouvelles pendant deux jours d'affilée ?
La seule mention de malotru en question arracha un grognement à Severus et Tom.
Michaels était le deuxième mari de Iris. A ce jour, elle en avait eu trois, le plus récents, Lord Juniper, étant mort de façon inattendue six mois plus tôt, ce qui expliquait les vêtements de deuil qu'elle portait et son brusque accès de sentimentalité.
- J'ignorais s'il m'aimait ou non, poursuivit-elle en serrant avec ferveur quelques lettres sur son cœur.
C'est alors que les divers parfums dont les lettres avaient été inondées la firent éternuer ; elle lâcha les missives dans le panier.
- Ça ne t'a pas empêchée de l'épouser quand il enfin daigné se montrer, marmonna Severus.
Il est vrai qu'il n'avait jamais apprécié Lord Michaels. Lequel n'était que Baron, et encore.
Iris renifla.
- Quoi qu'il en soit, ces deux jours durant lesquels j'ignorais ses sentiments à mon égard ont été les plus longs et les plus affreux de ma vie.
- Vraiment, Iris ? Tu n'exagères pas un peu ? Les deux jours les plus affreux de ta vie ?
Severus secoua la tête et posa un regard meurtrier sur les lettres. À cause d'elles, il passait la pire semaine de sa vie.
- Tu doit y répondre, insista sa sœur. Ne serait-ce que pour expliquer à ces jeunes hommes qu'ils ont été bernés, tout comme toi, et que tu es désolé des désagréments qu'elles ont subis.
- Demande plutôt à Tom de leur présenter ses excuses, dans ce cas, répliqua Severus en pointant un index accusateur sur le coupable. C'est lui qui a passé cette annonce.
- Tu sais bien qu'il ne le fera jamais, répondit Iris avec un geste dédaigneux.
- Et je n'aurais jamais passé cette annonce si tu ne t'étais pas montré aussi pompeux ce soir-là, déclara Tom. Tu as péroré pendant des heures en prétendant que je compromettais la réputation de la famille. Puis-je vous rappeler à tous les deux que nous sommes des Snape ? Ce nom n'a jamais eu bonne presse.
- Exactement, dit Severus, que ces paroles semblaient avoir mené sur une autre piste de réflexion. Quand ces jeunes hommes découvriront qui a écrit ces réponses et qu'ils répandront la rumeur qu'ils ont été manipulés par un Snape, ne crois-tu pas, Iris, que cela ne fera que ternir davantage notre nom ? Tu risques même d'être refusée à l'Almack.*
Severus et Tom la dévisagèrent, dans l'expectative. Tom avait beau être officiellement le chef de famille, ni l'un ni l'autre n'auraient su tenir tête à Iris.
Cela aurait pu marcher.
Mais non.
- Rien ne t'oblige à signer de ton nom, objecta sa sœur.
Tu n'as qu'à mettre...
Elle se tapota les lèvres de l'index. Puis avec un grand sourire, elle s'écria :
- Je sais ! Tu n'as qu'à signer " M. Rogue ".
- Rogue ! S'exclama Severus qui n'avait pas entendu prononcer ce nom depuis bien longtemps.
- Rogue ! Bien sûr ! Comment n'y ai-je pas pensé moi-même, Iris ? Approuva Tom.
Et l'idée lui plaisait réellement. Rogue, une invention de Severus lorsqu'ils étaient enfants, était devenu le grand héros de Tom. Si une assiette était cassée ou qu'une tarte aux pommes disparaissait en ne laissant que des miettes, ils en accusaient cet éternel vaurien de " M. Rogue ", au grand dam de leurs gouvernantes et professeurs.
Rogue avait été déclaré responsable de plus d'une tragédie. Et aujourd'hui il était sur le point de devenir l'auteur de leur dernier coup pendable.
- Ça ne change rien à l'affaire, dit Severus en s'adressant à Tom. Tu vas quand même répondre à ces lettres.
- Tu crois vraiment ? Demanda Tom en agitant les sourcils avec un clin d'œil à l'intention de Iris.
- Tom n'aura pas le temps, Severus, intervint celle-ci. Il va falloir que tu t'en occupe toi-même.
- Il n'aura pas le temps ?
- Je n'aurais pas le temps ?
- Non répondit-elle. Je ne vois pas de quoi tu te plains, Severus. Je sais très bien que tu te débarrasseras de cette corvée auprès de ton secrétaire.
Severus eut le bon sens d'afficher une mine penaude, comme si c'était effectivement ce qu'il avait prévu dès l'instant où elle lui avait suggéré de répondre à ces lettres.
Cela dit, elle n'allait pas non plus laisser Tom s'en tirer à si bon compte. Regardant le duc droit dans les yeux, elle déclara :
- Et toi non plus, tu n'auras pas à t'en charger, parce que tu seras beaucoup trop occupé à te trouver une épouse.
Une demoiselle respectable qui te permettra de blanchir ta réputation - et la nôtre.
- Seigneur Dieu, Iris ! Tu ne vas pas remettre ça ! Gémit Tom. Et si je te disais que j'ai déjà trouvé la perle rare ? Ma duchesse idéale ?
- Je ne te croirais pas, rétorqua Iris en croisant les bras.
Severus décocha un sourire narquois à Tom par-dessus l'épaule de sa sœur ; il était trop heureux qu'elle reporte pour une fois ses foudres sur ce chenapan de duc.
Il en était pour ses frais.
Alors que Iris poussait Tom hors de la salle, celui-ci se tourna vers son oncle :
- Tu ferais bien de répondre très vite à ces lettres. Lady Taft est une vraie commère. Ce serait terrible si toute la ville apprenait que tu cherches un homme dans les petites annonces.
De nouveau, il haussa les sourcils, puis Iris l'entraîna vers le sort inconnu qu'elle lui avait réservé.
L'espace d'un instant, Severus éprouva un pincement de culpabilité à l'égard de Tom - quel célibataire n'aurait pas compati en voyant un comparse qu'on menait au gibet ?
Pourtant, cet accès de compassion fut bref : il comprit dans le même temps que Tom allait réellement très amusant de faire courir cette rumeur partout en ville, même si ce devait être pas l'intermédiaire de Lady Taft.
Bon sang, il allait vraiment le faire. Sans doute allait-il amener cet imbéciles de Lucius à raconter leur petite blague au premier venu, et Severus deviendrait la risée de Londres. Horrifié à l'idée que son humiliation puisse devenir publique, il sut qu'il devait au plus vite étouffer toute cette histoire dans l'œuf.
Il allait s'emparer de la première corbeille lorsqu'il remarqua qu'une de ces lettres était tombée par terre. Le sceau de cire s'étant défait, la page en était grande ouverte et laissait voir une écriture décidée mais délicat, au trace vif et élégant.Cher Monsieur Honnête,
Si votre annonce n'est qu'une plaisanterie, laissez-moi vous assurer qu'elle n'est pas drôle...
En dépit de son humeur noire, Severus éclata de rire. Ce petit impertinent avait tout compris. Rien, dans cette situation, n'était drôle. Il replongea dans la lettre, dont la première page contenait en substance un sermon sur la morale douteuse qui consistait à jouer avec le cœur des jeunes hommes.
Un pensum qui aurait échaudé même un vieux briscard comme Tom.
Absorbé par la prose directe du jeune homme, Severus s'assit à la table. Il se versa une tasse de café - Iris et Tom adoraient le thé, mais Severus était amateur de café, et Benley faisait toujours en sorte qu'il en ait à portée de main -, posa les pieds sur la chaise d'Iris, lut toute la lettre, à deux reprises. Et rit à chaque fois.
Seigneur, quel chenapan ! Il finit par reposer le courrier, dont il ne pur s'empêcher de lire et relire les dernières lignes.Cependant, si vous souhaitez réellement rencontrer un jeune homme de bonne famille, alors peut-être...
Il considéra le dernier mot. " Peut-être. "
Non, pensa-t-il en secouant la tête, il ne pouvait pas faire ça. Mais de nouveau il fixa la lettre et, à l'encontre de tout bon sens ( car Tom avait raison sur un point : Severus était exagérément honnête), il appela Benley pour lui demander de quoi écrire.---
*1. L'Almack est le premier club social de Londres à avoir admis les femmes parmi ses membres. (NdT)
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Alors vos impressions pour le prologue est-ce que je continue ou pas ? Vos avis compte beaucoup pour moi.😘
XoXo
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Une lettre pour vous, Monsieur.
Romance"Gentleman honnête et fortuné cherche jeune homme de bonne famille pour correspondance en vue d'un mariage, si affinités." Annonce passé dans le Morning Chronicles. | Roman adapter en HP par moi.