•Page blanche (7)

16 4 0
                                    

Le ronronnement du frigidaire parvenait jusqu'à sa chambre, brisant un lourd silence. Sa lumière beaucoup trop forte inondait sa petite chambre d'une lueur blanchâtre, lui permettant de ne pas sombrer dans l'obscurité.

"-23:45, lui indiqua son téléphone
-Ferme-la", répliqua-t-elle silencieusement.

Elle ne voulait pas s'endormir, elle ne voulait pas reprendre le rythme des horaires vespérales et matinales, et elle ne voulait pas atteindre le jour de la rentrée des classes.

Le temps semblait lui filer entre les doigts. Tantôt lent, tantôt rapide. Et jamais au bon moment. Comme si elle eut pris une poignée de sable dans la main. La partie sèche s'écoulait hors de portée, tandis que le grain humide demeurait collé aux doigts.

Elle secoua la tête. Elle s'égarait. Elle ne devait pas perdre son temps. Elle reposa alors son regard fatigué sur l'écran beaucoup trop lumineux qui siégeait entre ses mains.

Une page blanche apparaissait. Un bandeau orange la bordait en son haut, et une barre verticale bleue clignotait de manière régulière. Ses pouces tremblants hésitaient, frôlaient les touches lettrées mais se ravisaient, incertains.

"-23:53, lui rappela l'appareil
-Laisse-moi me concentrer!" S'irrita-t-elle.

Pourtant, c'était elle qui dirigeait son champ de vision vers la partie précise de l'écran. Car elle avait peur que la voix familière de sa mère lui somme de faire le contraire de ses envies. Mais rien ne se manifestait.

Le frigidaire avait cessé de gémir. Elle percevait les mouvements de la couverture de sa mère, dans la pièce voisine. Elle ne tarderait pas à émettre son ordre. Vite.

Elle fixa à nouveau la marque turquoise qui s'agitait sur le fond blanc. Elle paniqua. Que faire? Quels mots aligner? Quelles phrases étirer? Quelle histoire raconter? Elle ne parvenait pas à ordonner ses idées. Il lui paraissait que sa mère remuait davantage. Son coeur battait à tout rompre, résonnant dans sa tête et activant son appréhension.

"-00:00.
-TAIS-TOI!"

Elle écarta ses doigts, laissa le noir se répandre sur le blanc puis appuya sur l'interrupteur de sa veilleuse, comme s'il s'agissait de la détente d'une arme à feu. La réduisant à l'obscurité. La baignant dans la pénombre. Elle n'osait faire la moindre action. Elle ferma juste les yeux et laissa sa respiration prendre un pli régulier, lent, doux.

Mais avant de s'endormir complètement, elle esquissa un faible sourire. Pourquoi ? Parce qu'elle le savait. Elle en était persuadée.

La page n'était plus blanche.

Chevredespres

JE SAIS PAS ECRIRE...Ah Si MerdeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant