Culpabilité

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Je m'appelle Juliette, j'ai 34 ans, je vais vous raconter ce qu'il m'est arrivé un été, l'été de mes 14 ans.

J'étais en vacances en Suisse avec mes parents, au beau milieu de nulle part en campagne. Mon frère était absent, heureusement d'ailleurs, le pauvre, il n'avait que 7 ans.

Nous faisions le voyage dans un camping-car qu'on avait loué en France, à des amis de mes parents.

Ce jour-là, c'était la foire dans une des villes environnantes. Je me rappelle avoir insisté pour y aller.

Mon père nous avait posées, ma mère et moi, pendant qu'il cherchait une ferme où on accepterait que l'on dorme dans la cour ou dans un champ.

La foire était immense et c'était magnifique de voir tous ces étalages, toutes ces babioles, tous ces gens, toutes ces couleurs.

J'y avais acheté tellement de choses inutiles, mais si belles et si peu chères !

Je me souviens que ma mère soupirait à chacun de mes achats et me faisait les gros yeux. De ce fait, j'évitais de la regarder. Au bout d'un petit moment, nous nous étions séparées. J'avais donc continué, seule, à parcourir les allées et à vider mon porte monnaie.

Quand j'avais retrouvé ma mère, elle était avec mon père, assise sur le bord d'une fontaine. Je me souviens avoir regardé ma montre, il était 12h54. Nous nous étions ensuite trouvé un banc dans un parc un peu en dehors de la ville. Nous avions mangé du pain frais encore tiède avec de la tome achetée le matin même et du jambon. Au dessert, pomme et biscuits. Mes parents s'étaient ensuite allongés sur un drap dans l'herbe pour faire une petite sieste. Je m'étais assise, les pieds dans l'eau, sur la berge d'un ruisseau.

Lorsque mes parents s'étaient réveillés, ils avaient lu tous les deux. Je jouais sur mon téléphone pendant ce temps. Comme j'étais en Suisse, je ne pouvais pas envoyer de messages et j'avais activé le mode avion pour ne pas faire payer ceux qui m'envoyaient des messages.

A 16h45 environ, nous avions levé le camp et nous avions retraversé la ville. Je me rappelle avoir demandé à ma mère une glace italienne mais elle m'avait répondu « Demain ».

Après être sortis de la ville, nous nous étions engagés sur un chemin de randonnée qui, d'après mon père, menait à la ferme où nous allions passer la nuit.

J'étais la première, et mes parents parlaient entre eux, cela les ralentissait.

Au bout d'un petit moment, le chemin continuait vers la gauche, mais un autre allait vers la droite.

Celui de droite descendait beaucoup, et comme il y avait peu d'arbres, on voyait qu'il menait à une ferme. Je m'étais alors tournée vers mes parents mais ils étaient encore trop loin pour que je leur demande si nous allions ici. J'avais donc observé la ferme. Je me rappelle m'être avancée un peu sur le sentier, afin de mieux voir.

La ferme était composée de plusieurs bâtiments. Sur un espace d'herbe, on pouvait voir deux caravanes et un camping-car. J'étais trop éloignée pour l'identifier, si c'était le notre ou pas.

Pas loin d'une des caravanes, un hamac se balançait doucement. Un homme assez corpulent était allongé dedans.

Il m'avait vue, mais je ne m'en étais pas rendue compte. J'avais continué à m'avancer doucement.

Lorsque j'ai remarqué qu'il n'était plus dans son hamac, il était trop tard.

Et quand j'ai vu une silhouette se découper sur le chemin, devant moi, je me suis juste arrêtée.

Il était trop tard. L'homme devant moi tenait une arme. Un fusil, je crois. Trop tard. Je n'ai pas entendu mon père m'appeler, ni crier. C'était trop tard. J'étais immobile, plantée au milieu du chemin. L'homme avançait vers moi. C'était trop tard ! L'homme m'a visée avec son fusil. Il a tiré. C'était trop tard pour que j'en réchappe. Je ne pouvais pas bouger. Je me suis sentie tomber par terre.

C'était bizarre. Je ne ressentais aucune douleur, juste un poids assez lourd sur mon corps.

J'avais les yeux ouverts, je voyais le ciel. Lorsqu'ils ont clignés, je me suis rendue compte que je n'étais pas morte. Et puis je me suis rendue compte que le poids que je sentais sur moi était celui de mon père. Mon père, qui avait sans doute couru pour me protéger, et qui s'était pris la balle à ma place.

J'ai ensuite entendu d'autres coups de feu, en direction de ma mère. Heureusement, elle était trop loin et elle a seulement reçu une balle dans le bras. Seulement. C'est horrible de dire ça. Comparé à mon père, ce n'était rien, mais c'était quand même beaucoup.

Elle était tombée à terre. Par chance, l'homme n'a pas vérifié si nous étions bien morts. Il était parti, au bout de trop de temps à mon goût. Ma mère a appelé les secours.

Ils sont venus.

Ils ont arrêté l'homme, qui est parti dans un asile psychiatrique.

Ils nous ont guéries, ma mère et moi.

Mais ils n'ont pas, ils ne pouvaient pas de toutes façon, il ne nous ont pas rendu mon père.

Je ne reconnaissais pas ma mère. Elle n'arrêtait pas de pleurer. C'est une partie d'elle qui a disparu, ce jour-là.

Moi, je n'ai pas pleuré. Je n'ai pas pleuré depuis toutes ces années. Je n'y arrive pas, ce n'est pas possible. Je n'ai pas l'impression que c'est vrai, je n'y crois pas. Mon cœur est resté gelé, figé, le temps s'y est arrêté.

J'aurais pu mourir ! J'aurais du mourir. Maintenant, je suis toujours vivante, certes, mais avec un nouveau poids. Celui de la culpabilité. Je me sens coupable de la mort de mon père.

One-ShotsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant