Tourments

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Assis à son vieux bureau, dans son vieux logis mansardé, Jules écrivait. De profondes marques cernaient ses yeux. Tout en baillant, il froissa la feuille et l'envoya rejoindre un amoncellement de papiers semblables. Il avait l'air nerveux. De temps en temps, il allait jeter un coup d'œil par la fenêtre, dépourvue de vitre, comme si tu risquais d'entrer par là. Il se rasseyait ensuite et prenait une autre feuille. Amandine. Tout, absolument tout, était de sa faute. Il s'allongea un instant sur son vieux lit aux ressorts cassés et contempla le plafond. Pendant longtemps, il avait ignoré qu'elle appartenait à un autre homme. Pendant longtemps, il l'avait aimée avec certitude.
Et puis, il l'avait appris. Par hasard. Un passant dans la rue, un vieil ami d'enfance, qui ne s'était pas fait prier pour une bouteille contre quelques informations. Il aurait dû s'en douter.
Aussi "vraies" étaient elles, Jules n'avait pas cru celle à propos d'un entrepreneur qui, d'après son ami, embauchait à tout bout de champ. Il avait ensuite vérifié, mais c'était faux. Un homme pareil, ça n'existe pas.
Mais à propos d'Amandine, il y croyait. Il n'en revenait pas qu'elle lui ait fait ça ! Qu'avait-il donc fait ? Car cela était récent, d'après Gigi. Il avait continué à la voir, exécutant ses souhaits et le moindre de ses désirs. Il lui en voulait mais au fond, il l'aimait toujours, alors il faisait semblant de ne pas savoir, il essayait de se persuader qu'il l'ignorait car cela le brûlait intérieurement. Elle était belle, douce, adorable, cultivée, resplendissante, mais surtout il l'aimait. Comment avait-elle pu lui faire ça ?
Il se leva, et après un regard furtif dans la nuit, recommença sa lettre. C'était en marchant dans les rues misérables de Paris, pour rentrer chez lui, que la haine était apparue. Imaginer qu'elle était, à ce moment même, dans les bras d'un autre, un beau jeune homme séduisant et riche, alors que lui devait repartir, rentrer dans l'immeuble miteux où il logeait, passer par des rues au parfum des égouts, avancer devant les autres de son espèce, les voir se moquer de toi à travers tes larmes, sentir l'amour te quitter, l'humanité en toi disparaître. Alors la haine grandit, te consume, la fatigue te rend fort, la faim courageux, et cette haine te pousse à agir, la fois suivante, caché derrière ton masque, tu sais que c'est la dernière fois que tu la visites, que c'est la première fois où tu vas pouvoir enfin être toi-même depuis ta mise au courant. Tu arrives à l'improviste, espérant la surprendre, escaladant l'enceinte puisqu'elle a repris les clefs qu'elle t'avait données, mais elle est seule, recouvrant une feuille de lettres élégantes et raffinées.
Silencieux, tu t'approches d'elle et regarde par dessus son épaule. C'est une lettre qu'elle écrit, une lettre qui t'es destinée. Ah la coquine ! Ah la méchante ! Te réduire à vivre ainsi ! Elle ne veut plus te voir, plus jamais, elle ne veut plus de toi, elle te trahit et montre enfin son vrai visage ! Tu laisses la rage te submerger, et sors ensuite de la pièce en abandonnant son corps délicat et savoureux, marqué profondément au niveau du cou.
Maintenant, c'est sa lettre qu'il essaie de reproduire, tu n'as pu la lire qu'à moitié et il essaie de s'en rappeler pour la coucher sur papier. Et puis, il sent soudain qu'il y arrive. Il écrit les bons mots, les phrases qui lui appartiennent et soupire, apaisé. Alors que le jour commence à se lever, il suffoque soudain, tes doigts glacés sur son cou, pable. 

One-ShotsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant