La porte se referma dans un claquement sonore. Mes jambes éreintées luttaient et je fus forcée de m'asseoir sur le sol, prise de vertiges. Je m'appuyai contre le bord et fis le point. Cela faisait trois jours, trois jours que l'on nous transportait, que l'on nous faisait changer de convoi, que l'on nous emmenait dans un endroit inconnu.
Le train se mit en route. Je fermai les yeux, j'avais à peine dormi depuis le départ, je n'avais rien mangé non plus. Certains avaient quelques bagages et avaient mangé leurs maigres provisions mais moi, je n'avais pas eu l'occasion d'emporter quoi que ce soit. Je me visualisai devant une table, lors d'une fête de fin d'année, à manger une viande riche avec des pommes de terre bien grasses. Immédiatement, je me sentis mieux.Je rouvris les yeux et observai une petite fille maigre, affamée, qui aurait dû chasser les papillons dans les champs. Ses yeux ternes et son teint blafard montraient qu'elle avait de la fièvre. Hélas, il faisait trop chaud dans le wagon pour faire baisser sa température. Je fermai à nouveau les yeux et me vis nager dans une rivière fraîche, peu profonde, aux galets lisses et polis.
Je revins dans le monde réel avec l'impression que des cheveux humides gouttaient sur mes épaules. J'inspirai profondément et regrettai immédiatement ce geste. L'odeur était insupportable et c'est pour cela que je décidai alors de respirer uniquement par la bouche. Je fermai encore une fois les yeux et rappelai à mon esprit l'odeur d'un doux parfum, soigneusement élaboré, offert pour mon anniversaire.
De retour dans le wagon, je regardai les femmes et enfants. Des cernes très marquées entouraient leurs yeux. Une femme posa une couverture sur les épaules d'un petit garçon qui ne semblait pas être le sien. Il se laissa faire, trop épuisé pour réagir. La robe de cette femme était en lambeaux. Je fixai les loques qui me servaient d'habits. Je me revis, habillée d'une robe blanche évasée, franchissant les marches de l'église, le jour de mon mariage.
La pensée de mon mari me revint à l'esprit. Le matin même, nous avions été séparés. Les automates nous triaient par sexe, âge, force. Mon cœur s'était déchiré à l'instant où on s'était éloignés. Joshua, te reverrai-je un jour ? Je l'espère de tout mon être. J'essayai de le revoir, de le serrer mentalement dans mes bras, mais sa silhouette s'estompait et me fuyait. Joshua, reviens-moi ! Ils ne peuvent nous faire ça, Franz, mon Joshua, où es-tu ? Qu'ont-ils fait de toi ? Viendras-tu me sauver ? Joshua, tu me manques cruellement ! Joshua, je t'aime...
Une vieille femme pleurait calmement dans le wagon. Elle devait avoir trente ans mais elle semblait si âgée ! Elle avait l'air d'avoir vécu beaucoup de choses, d'en savoir trop, d'avoir souffert. Mais peut-être n'était-elle que mon reflet ? Je me rappelai d'une vieille femme dans le village, elle avançait courbée, fragile comme du papier journal, s'appuyant sur sa canne usée. Est-ce qu'à présent je lui ressemblais ? Les visages autour de moi étaient déformés par la fatigue, la faim, la soif, la peur. Ils n'étaient plus humains.
Je me réfugiai une fois de plus dans mes pensées, allongée paisiblement dans un jardin émeraude. Le train ralentit. Les fleurs embaumaient l'air. Il s'arrêta tout à fait. Je tendis la main pour attraper celle de Joshua. Telle un robot, je me levai et suivis les autres, aussi réactifs que moi. Je me délectai de ce contact rassurant et tournai le visage vers lui. En raison de l'absence de marche, en descendant du wagon à bestiaux, je trébuchai et m'étalai de tout mon long sur le sol dur. Nous nous relevâmes tout en nous dévorant des yeux. Une lourde chaussure me poussa sans délicatesse. Gardant sa main dans la mienne, je souris à Joshua. Une poigne se referma sur mon bras et me souleva de terre. Nous commençâmes à marcher, nos pieds nus s'enfonçant dans l'herbe moelleuse. La balle me fit l'effet d'une décharge, mon corps fut parcouru d'un frisson et s'écroula lourdement sans vie. Nous partîmes vers l'horizon, ensemble pour l'éternité.
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One-Shots
RandomCette oeuvre est un recueil de One-Shots que je vous ai concoctés. Pour moi, un one-shots est un texte court, et dont le but principal est de faire réfléchir le lecteur sur la vie, sur l'humanité en général, mais ils appartiennent quelques fois au...