Distorsion

86 5 1
                                    

Je cours à en perdre haleine dans cette ville autrefois si accueillante. Je cours pour ma vie, je ne cherche même plus à comprendre ce qui se passe. Je connais le quartier comme ma poche, pourtant je ne me souvenais pas de cette impasse, je suis quasiment sûre qu'il n'y avait pas de cul de sac ici. Où suis-je? Où vais-je? Je tente de me rassurer en me disant que ce n'est qu'un cauchemar pourtant je n'y crois pas une seconde, le temps m'est compté, tout s'effondre autour de moi et la peur gagne du terrain dans mon esprit faible. Je ne suis pas faible! C'est ce monde, cette chose qui est trop forte.  Je dois me battre! Mais comment me battre contre un ennemi que je ne vois pas?

Fatiguée, essoufflée, exténuée, je m'arrête. Je suis désorientée, tout ceci n'a aucun sens. Où vais-je me réfugier? Pourquoi n'y a-t-il personne? Où sont-ils tous passé?

Pourtant ils sont là. Je les sens. Je sens une présence. Ou plutôt une multitude de présence. Je sens comme une foule s'agiter autour de moi. Il n'y a personne autour de moi, je le sais. Physiquement, je suis seule. Je n'ai heurté personne. Mais je ressens une tension, une urgence, comme si les rues étaient pleines de monde, remplies de passants pressés, de gens en retard, brutes et malpolis. Je ne comprends rien, mais je ne veux même plus comprendre. Je veux juste me réveiller.

Cela fait maintenant un long moment que je me tiens debout au milieu de cette rue vide, les yeux fermés, à imaginer les trottoirs bondés tels que je les ressens. Dans ma tête, je vois défiler des couples promenant des poussettes,des hommes et des femmes d'affaire pris de court par le temps, des vendeurs ambulants proposant moultes douceurs, des hommes sandwich ventant les promotions proposées par des grandes chaînes, des SDF mendiant quelques pièces pour vivre, accompagnés pour certains d'un chien ou d'une guitare. Je vois le soleil, le ciel bleu, les grands magasins, je sens en moi monter l'effervescence et le bonheur retrouvé, je ris devant les artistes de rue, je m'extasie devant les monuments, je souris devant le spectacle attendrissant de couples laissant libre cours à leur amour partagé. Je sillonne les rues avec légèreté, oubliant tous mes soucis. Je salue les passants d'un sourire, je regarde les vitrines affichant divers articles de mode, j'hume avec délice l'odeur de nourriture chaude diffusée par les restaurants. Je ris, je ris...

Soudain, ma tête se heurte à une surface dure. Je vois des petites étoiles et ouvre les yeux. Face à moi, tout est redevenu ténèbres. Je pose mes mains sur la surface que j'ai heurtée. Un mur. Encore un cul de sac. Encore. A bout de nerfs, je craque: je pose ma tête contre l'obstacle et laisse les larmes couler sur mes joues. J'en ai marre. Je suis à bout, qu'ai-je fait pour mériter ça bon sang? Pourquoi moi enfin?

Peu à peu, les larmes se calment mais mon esprit est vide. Au fond je le sais: cela ne sert à rien de résister, et c'est encore plus inutile de me lamenter. Je ne peux lutter, tout est fini. Ce n'est pas comme si d'une minute à l'autre la lumière allait revenir et que tout reviendrait comme avant. Ce n'est pas comme si des tréfonds des ténèbres allait surgir un héros surpuissant, un chevalier en armure dorée qui m'emmènerait loin de tout ça, loin de cette merde, dans un nouveau monde sans ombre et sans souci, sans monstres et où je ne serai plus seule. Ce serait trop beau, et c'est surtout impossible... Il n'y a plus d'espoir.

A peine je me dis cela que j'entends quelque chose au loin. Une sorte de musique... Je décide de tendre l'oreille. C'est effectivement une musique légère, cristalline,  enfantine et joyeuse. Mon espoir ravivé, je décide de suivre la mélodie. Je me dirige prudemment vers sa source, en prenant garde aux murs et autres obstacles. Finalement je ne suis peut être pas seule! Tout n'est peut-être pas perdu! Après tout, cet enfer a peut être une porte de sortie! Et là, tu pourras enfin te venger de ceux qui t'ont abandonnée! Mais qu'est ce que je raconte enfin? Je secoue la tête pour chasser cette pensée de mon esprit. Quelle idée putain!

TénèbreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant