Je pousse la porte centrale de la piscine, pénétrant dans le hall désert. Aussitôt, une chaleur étouffante m'envahit, contrastant avec le froid de novembre qui s'est installé à l'extérieur. Il n'y a personne à l'accueil, en raison de l'heure tardive.
Je m'avance vers la vitre qui surplombe les bassins à pas lents. Des bruits d'eau qui gicle me montrent que le cours a dû commencer il y a plusieurs minutes, déjà. Cependant, je ne parviens pas à baisser les yeux en contre-bas afin d'apercevoir la piscine. Anxieuse, je descends les marches qui mènent aux gradins. Rien n'a changé ici. Pas depuis que je suis partie, en tous cas. Les mêmes tableaux montrant les gagnants des compétitions depuis vingt ans trônent sur les murs gris, brandissant leurs trophées et leurs médailles. Je dois en faire partie, sûrement, mais je n'ose pas regarder dans cette direction. Un pincement au cœur me parvient, alors que j'avance prudemment dans le corridor, de peur de me faire repérer.
Je me sens telle une intruse, dans ce paysage qui m'était auparavant familier.
Mes pas résonnent sur le carrelage froid, tandis que je progresse doucement dans le couloir désert. Je réajuste mon sac sur mon dos, mal à l'aise. Que vont dire les autres, lorsqu'ils me verront ? Une boule me tord l'estomac depuis plusieurs minutes, déjà, et je tente de la faire partir en inspirant longuement. J'entends déjà les cris de l'entraîneur et son sifflet qui hurle, tandis que l'eau éclabousse les parois du bassin. La peur me noue le ventre, et je suis à deux doigts de faire demi-tour. Il n'est pas trop tard.
Pourquoi suis-je revenue ici ?
Presque malgré moi, mes mains se posent sur le battant de la porte. Il ne reste plus qu'un mur qui me sépare de mes anciens camarades, à présent. Cette pensée suffit à faire s'accélérer les battements de mon cœur. J'ai peur de leur réaction s'ils me voyaient. Non, c'est plus fort, encore. Je suis mortifiée à l'idée qu'ils ne m'aperçoivent.
Je prends une grande inspiration avant de pousser la porte, les mains tremblantes. Aussitôt, les bruits qui me parvenaient étouffés arrivent à mes oreilles de façon plus nette, provoquant une décharge électrique dans la totalité de mon corps.
Mes yeux virevoltent dans l'enceinte du bâtiment que j'ai tant chéri durant de longues années, comme s'ils le redécouvraient. Ici aussi, tout est resté comme avant ; la piscine des plus petits recrache toujours son jet d'eau autour d'elle. Le toboggan rouge trône, tel un maître, au milieu du bassin familial. Je pourrais presque entendre les enfants pousser des cris de joie en se jetant dans les entrailles du monstre. Mais aujourd'hui, il n'y a personne.
Mon regard se rive sur la piscine centrale, un rectangle parfait, digne des Jeux Olympiques, comme le disait mon coach. A cette pensée, un sourire triste apparaît sur mes lèvres quelques secondes, avant de s'évanouir. Je ne pourrais dire combien de fois j'ai plongé dans ce bassin, combien de longueurs ai-je fait. D'ici, je pourrais en déduire la température de l'eau, et je me souviens encore de la longueur du rectangle d'eau : vingt-cinq mètres. Tout comme la profondeur, de deux mètres trente. Une bouffée de nostalgie s'empare de moi, et je me remets à souffler lentement, expulsant le plus possible l'air de mes poumons, en passant les mains sur mes cuisses afin de chasser ce sentiment qui persiste.
J'ai beau me répéter intérieurement que tout va bien, que je ne fais rien de mal, en étant ici, ce poids qui oppresse ma poitrine ne s'en va pas, creusant encore et toujours mon être. Je frissonne malgré la chaleur du lieu, mal à l'aise.
Les adolescents dans l'eau sont trop occupés à répéter leur enchaînement ; ils ne m'ont pas aperçue. L'entraîneur non plus ne fait pas attention à moi. Alors je m'assois sur une marche, près de la sortie, prête à partir au moindre problème.
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LES LARMES BLEUES
Short StoryChloë revient à son club de natation, un an après être partie du jour au lendemain sans raison apparente. Mais que s'est-il passé, entre temps ?