Ne me touche pas

142 25 4
                                    

Un an auparavant


Il est tard lorsque je sors de l'entraînement. La nuit est tombée depuis longtemps, et j'ose espérer qu'un bus passe encore à cette heure-ci. J'ai été la dernière à sortir de l'eau, à cause des longueurs supplémentaires que le coach m'a ordonné de faire. Le parking est à présent désert. Il ne reste plus que Iannis et moi.

- Tu es sûre que tu ne veux pas qu'on te ramène ? m'interroge-t-il une dernière fois.

Je secoue la tête en souriant. Prendre le bus ne me dérange pas tant que cela, et je m'en voudrais d'obliger le père de mon ami à faire un détour seulement pour me déposer. Ma maison est située à vingt minutes du club, et dans la direction opposée de celle du brun.

J'adresse un signe de la main à Iannis avant de m'éloigner vers les arrêts. Je n'aime pas rester seule la nuit, surtout en pleine ville, mais je veux croire qu'il ne m'arrivera rien. Ce n'est pas la première fois que je fais ce chemin, après tout. Pourtant, c'est avec la boule au ventre que je traverse la rue.

A côté de la piscine plongée dans le noir, le bar-restaurant est bondé. La musique s'entend jusqu'à l'endroit où je me trouve, mêlée à des explosions de joie et des rires. Peu rassurée, je presse le pas, les yeux rivés sur le sol, avant de me réfugier sous l'abri de bus désert.

Je dois être là depuis cinq minutes, lorsqu'une silhouette s'avance soudainement, se détachant du fond noir, titubant sur le trottoir. Je resserre les pans de mon manteau autour de moi, tentant de paraître discrète, priant pour que le bus ne tarde pas à arriver.

Mais il arrive bien avant, brutal et ivre.

Je n'ai que quelques souvenirs confus de ce qui s'est passé. Il m'est impossible de me rappeler de ce qui est arrivé. Sans doute mon esprit a-t-il bloqué ce souvenir, trop douloureux et honteux. Tout ce dont je me souviens, c'est de la douleur qui m'a assaillie, lorsque cet homme m'a pris par le bras. Des cris que j'ai poussé, tentant de rejeter cet inconnu, appelant à l'aide. De son odeur fétide, des ombres de son visage. De ses mains qui me retenaient, se pressaient contre moi et me touchaient, alors que je me débattais. Des cheveux arrachés, des vêtements presque déchirés. Du froid de novembre sur mon corps dénudé. Des larmes, aussi. Des pleurs, des hurlements, des appels à l'aide, et pourtant, personne qui n'accoure.

Et puis la honte, une fois que tout cela s'est terminé. La honte d'être seule dans la rue, nue, à la merci de cet homme. La honte, la peur, les pleurs et l'envie de mourir. La sensation d'être tâchée. D'être salie, de ne plus être moi-même, de ne plus être en vie, mais d'être seulement un pantin, un automate. Une poupée dont on peut abuser tant que l'on veut.

LES LARMES BLEUESOù les histoires vivent. Découvrez maintenant