Suis-moi

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Je ne reprends mon souffle que lorsque le mirage s'est évanoui. Le souvenir de mon dernier entraînement, avant que tout ne change, vient de remonter brusquement dans ma mémoire, me laissant pantelante, sur le trottoir désert. Je réalise seulement maintenant qu'il s'agit de l'un des derniers instants de ma vie normale, avant qu'elle ne bascule maintenant.

Qu'aurais-je fait, si j'avais su ce qui allait se passer ?

Je passe mes mains tremblantes sur mon visage. Quelle idiote je fais. Me pointer ici, après mon absence, était une très mauvaise idée. Il faut que je parte avant que quelqu'un ne me rattrape et me force à rester. Je ne veux pas voir cet endroit. Je ne peux plus. Les souvenirs remontent à nouveau, me donnant la chair de poule, et je m'efforce de les chasser.

Je me lève et enlève la poussière qui recouvre mon jeans, avant de réajuster mon sac sur mon dos. Mais avant que je n'ai pu faire un pas en avant, une voix dans mon dos m'arrête.

- Chloë ?

Je me crispe en entendant à nouveau la voix du coach. Déglutissant avec difficulté, je me retourne, prête à recevoir une pluie d'injures et de reproches à mon égard. Mais je tombe face à face avec un entraîneur qui me regard d'un air gentil et doux. Hébétée, je reste le fixer sans réagir.

- Ça faisait longtemps, poursuit-il.

Je ne sais plus où me mettre. Je voudrais fuir, partir en courant, mais mes jambes semblent être ancrées dans le sol.

- Ouais, soufflé-je. Je... Heu, je vais y aller. Désolée.

Je tourne les talons et me dirige vers les arrêts, avant d'être à nouveau arrêtée.

- Pourquoi tu es revenue ?

La voix est cassante, cette fois, et ce n'est pas celle du coach. Je frissonne lorsque le son provient à mon ouïe, puis je me remets en marche, feignant de n'avoir rien entendu. Malheureusement, il persiste à me suivre d'un pas pressé.

- Pourquoi est-ce que tu es revenue, Chloë ?

Sa voix est accusatrice, et il insiste longuement sur mon prénom. Je ferme les yeux, et j'entends quelqu'un qui s'approche doucement dans la rue déserte. Lorsque je rouvre les yeux, je fais un pas en arrière.

Iannis se tient devant moi, les bras croisés sur son torse musclé. Il me regarde avec tant de mépris que je baisse les yeux vers le sol.

Pourquoi, mais pourquoi suis-je revenue ici ? C'était une mauvaise idée, je le sais. Pourtant, lorsque je suis passée devant la devanture de l'établissement, je n'ai pas pu m'empêcher de rentrer.

- Je vais poser ma question autrement : Pourquoi est-ce que tu es partie ?

Je voudrais disparaître dans un trou de souris, m'évaporer, devenir invisible. Tout, plutôt que me retrouver à devoir donner des explications à Iannis, dont le regard me juge et me signifie clairement qu'il me hait.

- Réponds-moi. Il y a bien une raison, non ?

Des voix se font entendre, signe que le reste de l'équipe a terminé de se changer. Il faut que je parte, maintenant, avant de recevoir d'autres sermons. Je fais un pas vers la gauche, mais Iannis me bloque le passage. Alors je relève les yeux vers lui, plongeant mes iris bruns dans ses yeux noisette.

- Il faut que je parte. Désolée.

Un rire jaune s'échappe de sa bouche, soulevant son torse, alors que sa bouche se tord en une moue accusatrice.

- Alors cette fois, tu t'excuses et tu préviens que tu t'enfuis, ironise-t-il. Eh bien, il y a du progrès, dites donc. Et quand comptes-tu revenir ?

Je pince les lèvres. Il m'énerve, il le sait, et il en joue. Je lui jette un regard noir et le pousse sans ménagement, avant de me précipiter vers l'abri-bus. L'air frais de la nuit qui est déjà tombée me brûle le visage, et le vent fait voler mes cheveux blonds devant moi. Je marche d'un pas rapide, lorsque j'entends des pas dans mon dos.

- Chloë, attends !

Que me veut-il ? J'ignore ses appels et plonge mon regard dans les feuilles signalant les horaires des bus.

- Aucun car ne passe, à cette heure-ci, dit-il en me rejoignant, à peine essoufflé par sa course. Tu devrais rentrer te mettre à l'abri.

Son brusque changement d'humeur attise ma curiosité. Quelques instants auparavant, il me criait presque dessus, et à présent, alors qu'il est sensé me détester, il me suit et s'inquiète pour moi ? Je ne connaissais pas ce côté lunatique, chez lui.

- Oublie le fait que tu m'aies vue, dis-je froidement.

- Pourquoi ?

- Parce que je n'aurais pas dû revenir. C'était une erreur. Alors je vais gentiment attendre qu'un bus arrive et rentrer chez moi, comme si rien ne s'était passé.

- Il n'y a pas de bus, je te l'ai déjà dit, répète-t-il.

L'agacement se ressent toujours dans sa voix. Je frissonne, en repensant à cette froide soirée de novembre, il y a un an.

- Je vais faire du stop, alors, répliqué-je, même si je sais pertinemment que je serais incapable de faire cela.

- Ne sois pas idiote. Viens à l'intérieur.

Je lève les yeux vers Iannis. Ses cheveux bruns ont poussé, depuis l'année dernière. Il semble plus adulte, plus sérieux. Sans attendre ma réponse, il me prend par le bras et m'entraîne avec lui. Mais au lieu de passer par l'entrée principale, il fait le tour du bâtiment et ouvre une porte en bois que je ne connais pas.

- Où est-ce qu'on va ? demandé-je avec curiosité.

- La piscine va fermer. Alors on attend ici quelques minutes et ensuite, on se rend à l'intérieur.

- On entre par effraction, tu veux dire ?

- Exactement. Allez, viens.

Je n'ai pas le courage de lui demander comment il sait tout cela. Je le suis à l'intérieur de la petite cabane en bois. Il allume son portable, créant une lumière faible dans la pièce. Je m'assois au sol, face à lui.

Dans quoi me suis-je encore embarquée ?

LES LARMES BLEUESOù les histoires vivent. Découvrez maintenant