Seconde partie : La Renaissance

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La Renaissance ! C'est tout de même un nom qui en jette ! C'est au-delà de la résurrection, on est dans le renouveau, dans l'ancien qui ne se répète pas, mais fait peau neuve. Nous voici au 16e siècle et je suis sûre que vous sentez ce qui est en train de nous arriver porté par le vent. Humez l'air et concentrez-vous un peu. Ça sent la mer et les embruns des voyages de Christophe Colomb et de Magellan ; ça sent les cadavres découpés d'Ambroise Paré et le mouton. Bon là je crois que je vous ai perdu, pourtant ça sent bien le mouton, tous les moutons de Panurge, ceux de l'ignorance qui fuient devant la connaissance. Copernic est en train de nous mettre la Terre à l'envers et le Soleil au centre et Gutenberg imprime des livres. L'imprimerie ! Et avec elle, un moyen de diffusion du savoir sans précédent.

Ces découvertes renvoient les idées médiévales aux oubliettes, l'obscurantisme religieux en prend un sacré coup et Dieu aussi par la même occasion. C'est qu'avant de chercher Dieu justement, on se dit qu'il serait peut-être bon de trouver l'homme. Et pour cela, rien de tel que de retourner des siècles en arrière (on avait déjà compris que tout avait déjà été fait) pour dépoussiérer les philosophes gréco-romains. Les textes de l'Antiquité deviennent une mine d'or et au milieu de l'odeur de mouton, on sent l'huile d'olive qui s'invite. Ah les moutons en méchoui de mon enfance en Grèce ! J'ai les papilles qui frétillent ! Tout ça vous met en appétit ? C'est normal, c'est la faim et la soif de savoir. Sauf que, vu l'état de l'enseignement de l'époque, y'a du boulot !

Cet appétit de connaissances me permet une transition à peine foireuse vers notre cher ami Rabelais. Car s'il y a un auteur qui introduit le mieux la littérature de la Renaissance, c'est bien lui. À peine foireuse la transition, car il est bel et bien question de nourriture lorsque nous parlons des géants Pantagruel et Gargantua et que je vous rappelle que Panurge et son bétail apparaissent dans Pantagruel justement. Mais aujourd'hui, nous allons nous pencher sur la vie très horrifique du grand Gargantua, père de Pantagruel, jadis composée par M. Alcofribas abstracteur de quintessence appelé plus sobrement Gargantua. Pour la petite anecdote, Alcofribas Nasier est l'anagramme de François Rabelais et le nom sous lequel fut signée cette œuvre.

Nous sommes en 1534 et Gargantua nous plonge dans l'essence même de la pensée humaniste qui va marquer la Renaissance. Reprenons un peu ce grand classique, voulez-vous ? Ce n'est pas comme si vous aviez le choix au final même si l'idée de faire des rayons à la demande me tente bien. Après tout, pourquoi ne pas mélanger les bibliothèques de chacun... mais je m'égare. Revenons à Gargantua.

Personnellement, j'affectionne beaucoup cette œuvre pour le prologue qui annonce clairement la couleur : « on va bien se fendre la poire, mais si vous savez lire un tant soit peu, normalement, vous allez apprendre des trucs intéressants. » Étonnamment, la démarche de mêler gaudriole et enseignement me parle bien et je vous épargne le dessin explicatif... Voici l'histoire de Gargantua, en essayant d'en extirper « la substantifique moelle ».

Le géant Gargantua est le fils de Grandgousier et de Gargamelle (rien à voir avec les schtroumpfs). D'ailleurs, celle-ci s'est tout de même traînée 11 mois de gestation... 11 mois ! Personnellement, 9 m'ont amplement suffit, 2 de plus et je sortais le gamin à main nue, je pense. Rabelais, lui, se dit que ce qui se fait lentement et longtemps se fait bien. C'est un point de vue... Gargamelle, donc, enceinte jusqu'aux yeux, s'offre la fête du siècle malgré la réprobation du mari : bien mangé, bien bu, la peau du ventre bien tendue (pour le coup, elle est à propos celle-ci). Sur cette beuverie, elle accouche de Gargantua par l'oreille gauche ou comment mélanger l'ORL et le gynéco... À peine enfanté, notre cher nourrisson réclame à boire et gagne le nom de Gargantua avant de dérouler son enfance. Après cette petite introduction burlesque, Rabelais s'attaque aux choses sérieuses et en profite pour placer un peu son propos en commençant par l'éducation. Ainsi, quand Grandgousier apprend que son fils n'est capable que de réciter l'alphabet par cœur à l'endroit comme à l'envers, selon la méthode moyenâgeuse, mais qu'il n'allume pas forcément les lumignons pour réfléchir, il décide de faire appel à Ponocrates, un tuteur humaniste qui réside à Paris.

C'est d'ailleurs en arrivant à la capitale, s'amusant à uriner sur les habitants et à voler les cloches de Notre Dame (ne cherchez pas à comprendre, Rabelais a l'humour un peu fumeux) que Gargantua se retrouve confronté au doyen de la Sorbonne. Premier tacle de l'auteur sur l'enseignement scolastique de cette institution poussiéreuse et belle occasion de comparer le discours quinteux et bourré de fautes du dogmatique avec l'art oratoire maîtrisé des disciples de Ponocrates. Car celui-ci, après avoir purgé la cervelle de notre géant débonnaire grâce à un laxatif pour neurones abrutis, propose une alternance équilibrée de sciences et d'activités physiques, d'arts et de chevalerie. Idéal antique et pédagogie moderne, philosophie, primauté de la découverte et de l'apprentissage sur l'obscurantisme, tout est là, à mettre un grand coup de pied dans les conceptions morales, esthétiques et religieuses du Moyen-Âge. On crie au scandale. On crie à l'audace enfin de savoir plutôt que croire ! Une révolution, chers amis ! Sur le fondement même de l'éducation des enfants. Car apprendre de manière ludique fera de Gargantua un érudit.

Deuxième grand sujet abordé dans cette œuvre, et deuxième occasion pour Rabelais de balancer un tacle mieux qu'un footballeur italien : la guerre. Tout commence par une histoire de gâteau. Là où c'est très fort, c'est qu'il s'agit de vendeurs gâteau qui refusent de vendre leurs gâteaux... comme prétexte foireux pour déclencher une guerre on n'a pas vu mieux, à part chez Bush... sans commentaire. Donc le roi Picrochole attaque Grandgousier. Picrochole qui joue au teigneux assoiffé de conquêtes, c'est Charles Quint tandis que Grandgousier, pacifique qui tente de négocier pour sauver ses sujets n'est autre que François 1er. Je vous passe les détails, mais en gros, Gargantua intervient et se rend compte que l'armée d'en face est complètement désorganisée, subissant les affres de l'excitation et des sautes d'humeur de leur chef. Il y oppose donc une armée de métier, où règnent sang-froid et stratégie. Naturellement, il gagne, et la petite leçon de morale qui va bien : la guerre c'est mal, mieux vaut être pacifique et si ce n'est pas possible, autant réfléchir bien comme il faut avant d'envoyer les gens aux casses pipes... Je vous rappelle le contexte : 1515, Marignan, pour ne citer que celle-ci ? C'est que les batailles c'est un peu le sport national depuis le Moyen-Âge justement, là on se dit qu'il faudrait peut-être se calmer. Après la philosophie, on place ni vu ni connu un peu de politique dans l'histoire, ce qui est assez nouveau pour l'époque. Aujourd'hui, ce sont les politiques qui écrivent des livres ce qui ne s'avère pas forcément être une bonne idée...

Troisième petite notion qui conclut le livre : l'Abbaye de Thélème. Suite à sa victoire contre Picrochole, Gargantua décide d'offrir à son ami frère Jean un lieu qu'il pourra façonner à son image en remerciement de son aide pendant la guerre. Car frère Jean n'est pas vraiment le petit moinillon tranquille avec sa robe de bure, mais plutôt Rambo en toile de jute, il n'hésite pas à massacrer des pillards et à poursuivre seul une armée en déroute quand il n'est pas occupé à rouler sous la table avec Gargantua. C'est qu'il enfile les verres mieux que les perles d'un chapelet le gentil moine. Donc voici qu'émerge l'abbaye de Thélème dont la devise « fait ce que voudra » résonne encore 5 siècles plus tard. Car dans ce lieu pourtant religieux, on réconcilie volonté divine et désirs humains. Même les plaisirs charnels y ont leur place ce qui était plutôt osé pour l'époque ! Scandaleux ? Moi, personnellement, je signe tout de suite !

Si je récapitule : Rabelais 3 — Moyen-Âge 0. La Renaissance est en route et avec le sourire.

De conclure alors sur cette citation : « Mieux est de ris que de larmes écrire, pour ce que rire est le propre de l'homme. »

Et ce n'est que le début tant le 16é siècle pose les fondations de notre littérature moderne.

À bientôt.

K.

La Bibliothèque de K. (Petite histoire amoureuse de la littérature française)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant