IV

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Honnêtement, maintenant que j'y pense, je n'ai même pas eu conscience du temps qu'a duré le trajet.

Mon visage est resté collé contre la vitre et mon regard s'est perdu au loin, dans le paysage, sans jamais réellement se poser.

Sans que je n'ai vraiment eu le temps d'y penser -Enfin, surtout l'envie, je l'avoue.-, j'étais là, dans cette gare déserte, perdue au milieu des terres, face à un jeune homme de mon âge, qui ne semblait être là que physiquement.


Ce jeune homme ne pouvait être qu'Ellen.

Hormis lui, personne ne pouvait savoir que j'arrivais.


Personne n'était descendu en même temps que moi et je n'avais perçu aucun regard sur moi, en descendant du train.

Et pourtant, j'avais l'habitude d'être dévisagé, ça avait toujours été mon quotidien, aussi loin que je m'en souvienne.

Mais là, j'étais comme un fantôme, descendant à une gare aussi fantôme que ce message dans le Tchat.


J'ai soudainement eu la brève impression de me retrouver hors du temps et j'aurais pu rire si, sur le moment, mon regard ne s'était pas ancré dans celui de Ellen.

En silence, je me suis rapproché de lui et j'ai pris machinalement dans la mienne, la main qu'il me tendait.

Je l'ai suivi sans poser de questions, jusqu'à la seule voiture du minuscule parking avant de me stopper face au conducteur, mes yeux détaillant tout ce qui m'entourait.

Cet homme devait avoir une vingtaine d'années, vingt-cinq ans, tout au plus et arborait un sourire tendre.

Si tendre que le fossé entre son attitude et celle d'Ellen me retourna violemment l'estomac, me faisant suffoquer l'espace d'une seconde.


- Je m'appelle Tane, enchanté, se présenta-t-il alors qu'Ellen et moi grimpions sur les sièges arrières de la voiture.


Après réflexion, son sourire n'avait rien d'inquiétant, il était même parfaitement normal.

Si bien que j'aurais pu me demander ce qu'il fichait là, à nous emmener Ellen et moi, vers une destination dont je ne savais rien.

Car après tout, il était facilement visible sur nos visages, que nous n'étions pas vraiment stables dans notre tête.

Mais je n'en fis rien car lorsque mes yeux croisèrent les siens, je compris bien vite qu'il n'avait rien à nous envier.


- Et moi Wynaël, répondis-je doucement, alors qu'un sourire fleurissait peu à peu sur mes lèvres.


Mon regard dériva ensuite sur Ellen et il ouvrit la bouche dans la foulée, son regard s'accrochant automatiquement au mien.


- Tu peux m'appeler El.


J'acquiesçais lentement et m'attachais avant de laisser mon regard vagabonder au dehors, vidant ma tête des quelques pensées parasites qui semblaient persister.

Je me rendis cependant compte, après quelques minutes, que la main d'Ellen restait accrochée à la mienne.

Et à ma grande surprise, je me suis senti heureux et soulagé.

Je dirais même apaisé.


Quelqu'un gardait sa main dans la mienne, sans poser de questions, comme si c'était naturel et que j'étais important.

Si bien que je réalisais, que je m'en fichais totalement de savoir que je ne le connaissais pas.

Il était déjà important, sans que je ne sache pourquoi.

La pensée que je n'avais prévenu personne de mon départ, vint titiller mon esprit pendant quelques secondes mais ça n'avait aucune importance.

J'étais bien.

Pourquoi gâcher cela ?

Sans prononcer un seul mot concret, je m'étais senti aimé et compris et ce, bien plus qu'en dix-sept ans d'existence.


- Pour l'instant, nous ne sommes que trois mais d'autres personnes nous rejoindrons bientôt, lança Tane, son regard alpaguant le mien dans le rétroviseur central.


J'acquiesçais de nouveau, l'image d'une secte s'imprimant dans mon esprit.

Mais aucun mauvais pressentiment ne semblait pointer le bout de son nez, me confortant dans l'idée que dans un sens, j'étais en sécurité.


- Où allons-nous ?

- Pas très loin d'ici. J'habitais seul avant que je ne rencontre Ellen. Mais la maison est spacieuse et il y a tout le confort nécessaire. Personne n'empiètera sur ton espace personnel.

- Qu'allons-nous y faire ?

- Nous verrons bien avec le temps.


C'était simple, précis et faisant écho à mon âme.

Après tout, j'étais venu pour avoir des réponses, tout comme Ellen et Tane visiblement mais le chemin que nous allions emprunter n'était pas encore délimité.


Peut-être que l'ébauche de ce chemin viendrait avec l'arrivée des autres ?

Peut-être que oui.


Mais, je suis persuadé d'une chose.

Nous ne trouverons aucune réponse en nous activant seuls dans notre coin.

Non.

Nous nous devons de nous allier pour trouver ce que nous cherchons.


Et ce, même si c'est aussi abstrait et illogique, que n'importe qui, en dehors de nous-même, pourrait le penser.


Pantin [BoyxBoy] ✔Où les histoires vivent. Découvrez maintenant