Chevalier & Page : Le Buveur de Magie

Chapitre 5 : La Course de Dragons

Aleksane

Mince, j'allais être en retard !

Je n'avais pas vu filer la matinée et l'heure prévue pour le début de la Course de Dragons n'était pas loin !

Je pivotai sur moi-même et attrapai de mes deux mains dans un désagréable frou-frou de tissu, les volants de soie qui allait de pair avec la détestable robe de Festival dont Liléah avait jugé bon de m'affubler pour l'occasion. C'était déjà ma deuxième tenue différente de la journée et, pour cette fois, la jeune femme avait été particulièrement inspirée ! Je savais ce que j'avais décidé sur la façon dont les gens devaient me percevoir et qu'il me fallait, en vertu de cela, respecter quelques codes vestimentaires inhérents à l'étiquette royale... au moins jusqu'à ce soir. Mais tout de même, me coller sur le dos une robe flottante vert pomme à corbeille et à volants taffetas jaune pâle assortis ! Rien que pour ça, j'avais failli être malade quand Liléah avait sorti ladite robe de sa housse protectrice, mais même face à mes haut-le-cœur, elle n'avait rien voulu savoir, me soulant de grands discours quant au talent et à la renommée du couturier qui avait imaginé et assemblé semblable tenue !

Toute 'belle' et pomponnée de neuf, je me précipitai sans grâce aucune hors de ma chambre pour la deuxième fois de la journée et dévalai les escaliers en essayant de ne pas trébucher sur la montagne de tissu qui m'entourait. J'avais l'impression d'être une grosse meringue verte et jaune. Autant j'aimais cette sucrerie, autant je détestais l'image de moi qu'elle devait renvoyer, surtout que je ne l'aimais pas ni à la saveur pistache, ni au citron ! Sautant deux marches, prenant un virage serré, dans un dernier dérapage, je débouchai enfin au pied de la Tour. Je repris mon souffle et tapotai les deux anglaises toutes fraîchement tirebouchonnées qui encadraient mon visage pour la circonstance comme autant de la dignité que je devais afficher. D'un pas encore vif, je traversai les cours et sortis de l'enceinte principale du château. Mon but : l'Arène où allait se dérouler d'ici peu la grande Course des Dragons.

Un toussotement discret du garde de faction me freina net dans ma course comme je passai la Porte dite 'Féline' par laquelle j'avais mes habitudes. Plus petite, moins encombrée que la Porte Royale, elle avait mes faveurs depuis des années. Sans quitter son poste, l'homme mimait en faisant du sur-place mon allure véloce et peu altière. Satisfait d'avoir capté mon attention, il ralentit sa cadence de marche pour quasiment finir sur la pointe des pieds à tous petits, tout petits pas... Je faillis m'esclaffer de rire devant sa caricature du maniérisme de cour. Mais un clin d'œil, un sourire et le message était passé. Je marquai un temps d'arrêt, lissai dignement un volant de mousseline, puis repartis de ma plus digne démarche de grande Dame... Un sifflement racoleur très discret de la part du garde me fit comprendre que c'était beaucoup mieux ainsi. Je ne pouvais décemment pas me retourner pour lui faire un petit geste de remerciement, mais je pense qu'il perçut ma gratitude dans mon dos. J'adorais Elmer. Je le connaissais depuis toujours. Il m'avait discrètement donné une vieille lanière de cuir pour remplacer celle de ma fronde le jour où elle avait cassé et montré comment rendre mon tir plus efficace grâce à des noyaux de cerises. Et puis, lorsqu'il était de faction, il ne cafardait jamais mes allées et venues hors du château parfois à des heures indues. Pourtant, je savais qu'il veillait toujours à me savoir bien rentrée à bon port. J'avais déjà surpris son dragonnet à me tourner autour à plusieurs de ces occurrences.

Devenue enfin digne de mon rang, je relevai la tête, remerciant les Dragons du beau soleil de ces derniers jours – s'il avait plu, le bas de ma coûteuse robe serait désormais plutôt dans des tons marrons qu'autre chose.

J'avais déjà bien avancé entre les échoppes des marchands de tissus lorsque je tombai sur l'un de ces groupes de donzelles écervelées qui pullulaient dans le château depuis plusieurs jours déjà.