Chapitre 2

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Depuis leur départ, Nathan avait pris pour habitude de se promener dans les rues de Paris. Ces si belles rues. Il était né ici, à Paris. Il était fier de sa ville natale. "Première destination touristique mondiale et un des facteurs majeurs de l'économie mondiale !" se réjouissait-il lorsque quelqu'un lançait la conversation.

Une fois prêt, il sortit de son studio et ferma bien à clef. Il se demandait souvent pourquoi il faisait ça : fermer la porte à clef. De toute façon, un voleur ne voulait-il pas voler des objets de valeur ? Des bijoux de famille précieux pour essayer de faire fortune ? Que feraient-ils d'un si misérable appartement et de ce qu'il contient ? Mais, pour une raison qu'il ne saurait expliqué, il fermait, chaque matin et à la même heure, cette porte qui séparait le monde réel de sa vie suspendue.

Il descendit les escaliers de son immeuble et sortit de celui-ci. Il neigeait et le thermomètre annonçait une faible température. Nathan frissonna et commença sa marche.

Il marcha ainsi durant trois heures qu'il ne vit pas passer. Il observait ce qui l'entourait, émerveillé comme un enfant qui découvre la multitude de cadeaux que le père noël a déposé sous le sapin. Il contempla cette si belle ville et ses passants. Un enfant se faire gronder par sa maman, puis ce même enfant se faire câliner par celle-ci quelques instants plus tard. Nathan pensa que c'était particulièrement contradictoire, mais ne se permit pas d'en penser davantage : il était le roi des contradictions. Tantôt joyeux, tantôt triste, il ne se comprenait même plus lui-même.

Des psychologues, il en avait vu après l'accident. Mais aucun n'avait plu à Nathan, et il voulait s'en sortir seul, comme depuis qu'il était tout petit.

Il passa devant un bar, une jeune femme chantait à l'intérieur. Il s'arrêta et la fixa quelques instants. Elle portait un simple t-shirt et un jean, et cette tenue, aussi simple soit-elle, suffit à émerveiller Nathan. Il ne la trouvait pas jolie, cette femme. Il était juste admiratif et tellement envieux de sa présence sur scène.

Lui aussi aurait voulu y être. Pouvoir dire au public qu'il est heureux d'être là, leur demander s'ils vont bien et recevoir en réponse une multitude d'applaudissements et de cris assourdissants.

Il revint rapidement à la réalité en se prenant une boule de neige en pleine figure. Il fut d'abord abasourdit, puis perplexe devant cet enfant qui riait aux éclats. Nathan ne savait pas comment réagir, et l'intervention de la mère de cet enfant fut une délivrance pour lui. Il n'avait pas approché d'enfant de si près depuis l'accident. La femme s'excusa environ un million de fois avant de laisser Nathan sur le bord du trottoir, seul, comme il l'était depuis deux longs mois déjà.

Il songea à ce qu'aurait été ce mois de décembre si elles n'étaient pas parties. Lily aurait sûrement réclamé une crêpe chez ce vendeur auquel faisait face Nathan. Il aurait certainement cédé, parce que sa fille était tout pour lui, et la frustrer lui était impossible. Alors il cédait, toujours.

Il reprit sa marche, le pas plus lourd, les pensées plus pesantes les unes que les autres. Il finit par arriver dans un vaste parc couvert par un manteau blanc gelé. Il le contempla et observa les enfants qui jouaient à l'intérieur. Il entra doucement, comme s'il craignait ce qui allait arriver. Il n'était qu'un homme parmi des milliers à Paris, et il avait pourtant l'impression qu'on le fixait. Qu'on l'accusait. Tout était de sa faute, et il ne cessait de se le répéter.

Il n'eut pas la force d'entrer, et une fois rentré chez lui, il enleva vivement ses chaussures avant de s'avachir sur le canapé. Il alluma de nouveau la télévision. Un attentat à Berlin. Encore un attentat.

Il se demanda alors ce qui pouvait traverser l'esprit de ces gens. Il essaya même de se mettre à leur place, dans leur tête, pour essayer de comprendre ce qui pouvait s'y passer pour parvenir à commettre de tels actes, mais il n'y parvint pas. Il ne parvenait à rien, depuis deux mois. Sa vie était en suspend, et il en était conscient. Et malgré tous ces efforts et toute sa volonté, il n'arrivait pas à y remédier.

Le sentiment de culpabilité n'était-il pas finalement pire que son sentiment d'abandon et de solitude ? Il ne savait pas. Il ne savait plus rien de toute façon depuis deux mois. Il marchait, respirait, mangeait -à peine-, dormait. Il vivait comme un animal, et toutes ses relations d'autrefois n'étaient désormais que de sombres souvenirs qui le replongeaient dans une réalité qu'il tentait vainement de fuir.

Y parviendrait-il ? Il ne le savait pas. Il espérait au fond, aller mieux. Mais il avait sans cesse ce sentiment qu'à son tour il les abandonnerait s'il faisait son deuil. Alors il restait là, dans ce sombre studio, à rêver de sa vie d'avant, pleurer sa vie présente, et surtout appréhender sa vie future.


Doux désespoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant