6. Masha (3/3)

70 1 0
                                    

Minsk, Biélorussie, 31 août 1939

« Attention ! Ici Gleiwitz. La station de radiodiffusion se trouve en mains polonaises ! »

La famille Bruskin est massée autour de la radio flambante neuve, achetée il y a deux semaines par monsieur Bruskin. Faites de bois et de cuivre, elle scintille sur la table de merisier comme un petit bijou précieux. Malheureusement, alors que Masha s'était attendue à entendre les musiques enjouées des chanteurs à la mode en cette dernière soirée du mois d'août, le poste ne fait que vomir des crépitements sourds et des voix ahuries en allemand. A travers les grésillements, elle entend des murmures et des exclamations sourdes ainsi que des froissements de vêtements.

Sa mère vient glisser sa main froide dans la sienne. Instinctivement, la jeune fille vient la recouvrir de ses paumes pour tenter de la réchauffer. Leurs visages sont collés au plus près pour capter chaque son, chaque sifflement qui jaillit de la station.

Un coup de feu.

Comme si celui-ci c'était échappé de la radio, le trio d'écarte brusquement. L'étudiante est paniquée. Elle regarde ses parents avec de grands yeux ronds, ne comprenant pas ce qu'il vient de se produire. Son père est blanc comme un linge, faisant ressortir le noir de ses cheveux et de sa barbe nettement taillée. Quant à sa génitrice, elle tremble de tous ses membres et se mord les lèvres si fort qu'elle manque de se l'ouvrir. Dans ses yeux clairs danse encore le fantôme de Mikhail, mais ce soir, il est remplacé par un autre cauchemar.

_Que se passe-t-il, papa ? s'inquiète Masha. Je ne comprends pas l'allemand !

Si elle n'a pas compris la phrase déformée par la peur du technicien, elle a en revanche bien entendu le tir. Une peur sourde l'envahit toute entière et un long frisson remonte le long de son échine avant de se perdre sur sa nuque, dressant ses petits cheveux sombres.

L'horloger met un index sur ses lèvres, lui intimant de se taire. Son unique fille obéit tandis qu'il se rapproche un peu plus. Son oreille est maintenant collée à la radio.

Malheureusement, seul le bruit blanc et quelques faibles crépitements résonnent dans l'appartement. Il finit par s'éloigner avec un profond soupir avant de s'avachir sur le dossier de sa chaise.

_Il se passe, Masha, il se passe que c'est la guerre.


*


Minsk, Biélorussie, 1 septembre 1939

« Cette nuit et pour la première fois, sur notre territoire, la Pologne a ouvert le feu sur nos soldats des troupes régulières. Depuis 5h45, nous avons contre-attaqué. Et désormais, nous rendons bombes contre bombes. La Pologne ne sera pas épargnée. »

Masha s'imagine la voix hurlante et vociférante d'Hitler alors qu'elle lit ces lignes dans les journaux du matin. Sous son affirmation, les journalistes crient au scandale.

« L'Allemagne a violé la frontière polonaise sur quatre points. Des informations allemandes au sujet d'une prétendue violation du territoire allemand par la Pologne sont de pure invention. De même que la fable d'une attaque « d'insurgés » polonais sur la station radio de Gleiwitz. Tout ceci c'est que machination allemande ! Biélorusses ! Nous sommes les prochains ! »

Elle jette un regard inquiet à son père. Il est atterré. Depuis l'attaque, il n'a cessé d'essayer de joindre ses amis polonais vivant à la frontière avec la Biélorussie, mais également avec l'Allemagne. Il n'a pas tous réussi à les contacter, mais le peu ayant répondu à ses appels l'ont informé des pires nouvelles. L'armée grise marche sur la Pologne et détruit tout sur son passage. Ce n'est qu'une question de semaine avant l'annexion du pays. Et les commentaires insurgés de la France et de l'Angleterre n'y feront rien.

Les Filles RougesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant