7. Lydia (1/3)

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Moscou, Russie, juin 1936


Le Yakovlev Yak1 Yellow démarre dans un vrombissement assourdissant. Toute sa carcasse peinte de différentes nuances de kaki tremble sous la puissance du moteur, mais la stabilité de sa silhouette atteste de sa robustesse. Le fuselage de son nez effilé fend le vent qui s'oppose à cet amas métallique d'acier et de fer, la nature refusant qu'une telle bête n'aille tutoyer les oiseaux tandis que ses longues ailes brisent l'air autour de lui.

La lutte a commencé.

Qu'un tel piaf s'envole n'est pas naturel. Comment un monstre pesant plus d'une centaine de kilos pourrait bien aller crever les nuages de la même façon que les pigeons et les aigles royaux. Dans le coucou, il n'y a pas d'os, pas de plumes et pas de cœur qui bat. Il n'y a rien qu'un squelette de limaille, de boulons et de verre. Mais les deux ont une chose en commun. Un cerveau. Dans le minuscule cockpit, une femme est recroquevillée derrière les vitres. Mais l'avion mange si vite la piste de décollage qu'il est difficile de la distinguer nettement avec son casque d'aviation de cuir brun et ses grosses lunettes noires. De là, il serait facile de la prendre pour un homme.

Enfin, avec un dernier grognement, l'oiseau de fer voit ses roues quitter le sol.

Lydia a toujours aimé les avions. Elle aime tout chez eux. De la majesté de leur apparence au mystère qui les fait s'envoler. Oh, bien sûr, elle sait comment chacun des rouages fonctionnent et les manœuvres aériennes n'ont plus aucun secret pour elle. Elle comprend bien pourquoi ils volent. Comment ils volent. Mais elle n'a aucune explication lorsqu'il s'agit de l'émerveillement qu'elle ressent à chaque nouvel envol, comme si la fascination était sans cesse renouvelée.

Bien qu'elle soit au sol et n'ait jamais ressenti l'euphorie du décollage, elle s'imagine chacun des gestes de la pilote. Chaque virage implique telle ou telle décision sur le tableau de bord. Elle les connait toutes, comme elle connait tous les modèles d'avions et toutes leurs spécificités, propres à chacun. Elle les a étudiées depuis son arrivée à l'aéro-club, il y a un an.

Ses yeux bleus ne quittent pas la silhouette du zinc qui n'arrête pas de monter et de descendre, apparaissant et disparaissant à travers les nuages cotonneux de l'été moscovite. De là-haut, la femme doit certainement voir la capitale, malgré les vingt kilomètres qui les séparent de la banlieue ouest de la ville.

A côté d'elle, les autres filles du club n'en perdent pas une miette. Certaines d'entre elles, consciencieuse, prennent même des notes.

_Tu n'écris pas, Lilya ?

La blonde tourne sa tête vers Iekaterina Boudanova. La brune est plus âgée qu'elle. Lydia pense qu'elle a à peu près 20 ans. Elle a déjà volé et plusieurs fois avec ça. Ce simple fait l'agace. Elle a cinq ans de plus et cela lui donnerait tous les droits ? D'ailleurs, elle n'a même pas besoin de prendre des notes. Elle fait du zèle et cela, l'adolescente le sait bien. Elle la gratifie d'un mauvais regard avant de hausser les épaules, désabusée.

_Non. Je préfère regarder l'avion. De toute façon, je sais ce qu'il faut savoir.

La brune éclate d'un rire franc avant de lui taper dans le dos, comme si elles avaient toujours été de bonnes amies. Iekaterina n'a jamais été méchante, non. C'est simplement cet air narquois et condescendant qui fait que Lydia ne l'aimera probablement jamais vraiment.

_D'ailleurs, ne m'appelle pas Lilya. On est pas amies.

L'autre retire sa main de ses épaules et lui lance un regard surpris.

Les Filles RougesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant