Puant et récalcitrant

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Et bien, direction la Klyde académie, jeune demoiselle, dit le second d'un ton presque amical en prenant ma valise pour la mettre dans le coffre.

C'est à ce moment que le premier homme me poussa comme de la marchandise dans le sombre corbillard, claquant violemment la porte. J'étais plutôt effrayée, presque émotionnellement instable. J'avais tantôt envie d'éclater en sanglots et de rentrer chez moi, tantôt de rire comme dans les pubs Colgate en me demandant quelles belles surprises m'attendaient dans cette école.
L'homme à la grosse voix passa un coup de fil à un dénommé "Monsieur le directeur".

Mon esprit se remit à vagabonder, tentant de s'échapper de cette voiture où une personne de trop était vivante. Moi, qui étais assise à l'arrière, à la place habituelle du cercueil. Était-ce un présage pour mon avenir dans cet endroit mystérieux ?

Et voilà que le pessimisme reprenait le dessus, génial.

Je m'endormis, bercée par le ronronnement incessant du véhicule sur la route cabossée.

J'ouvris doucement les yeux, regardant encore une fois ma montre imaginaire. La voiture était plongée dans la pénombre et seule la lumière de la lune parvenait à éclairer le tableau de bord. J'avais bien dû dormir quatre heures. Visiblement, mon réveil de ce matin m'avait épuisée. Enfin, je me rendis compte que quelque chose clochait. Non, pas la fée Clochette ! C'était autrement plus inquiétant qu'une mignonne petite fée habillée avec des feuilles.
J'étais seule dans la voiture qui était arrêtée. Le silence qui était habituellement mon meilleur ami semblait m'avoir abandonnée, remplacé par une pointe de panique et un soupçon de questions.

Sortir de la voiture me semblait être la meilleur option, chose que je fis donc sans grand entrain. Je portai instinctivement la main à ma poche afin de trouver mon téléphone pour m'éclairer dans la pénombre naissante. Il avait disparu, comme ma valise dans le coffre immense du corbillard. Je pris alors conscience d'un détail que je semblait avoir oublier : cette académie était louche. Deux hommes qui venaient chercher leurs élèves dans des corbillards, ça portait à confusion... Même le slogan de l'école me paraissait étrange "Remontez vos moyennes presque magiquement !" Oui, et moi j'étais la reine d'Angleterre.
Et si cette académie cachait un secret autrement plus gros qu'un simple remontage de moyenne ? Et la magie, dans tout ça ? L'aura mystique que dégageait le lieu devait sûrement me faire penser à l'envers. Bon, j'avouais que penser à la magie toute seule dans la nuit près d'un corbillard était glauque, mais j'avais toujours été une fan inconditionnelle de Harry Potter.

J'observai mon environnement proche. Je me trouvais au bord d'un route caillouteuse éclairée par deux ou trois lampadaires disposés ça et là. Le corbillard était garé sur le bord de gauche, aussi désert que la route. Un vent léger qui faisait se plier les arbustes dégarnis donnait une allure mystique au lieu. Tout à coup, je fut attirée par le bruit de l'eau qui s'écoule doucement. C'était sûrement une bouche d'égout. Tout ouïe, je me mis à sa recherche. Quelque chose en moi me disait que je n'étais pas arrivée ici par hasard. Je trouvai enfin l'origine de ce bruit agréable, derrière une rangée de hautes herbes à moitié mortes et malmenées par la bise. Grimpant directement sur la grille d'égout, j'observai avec attention l'intérieur de la bouche béante : une passerelle de briques qui devait faire seulement un mètre de largeur était entourée d'eau, qui ne paraissait pas être la plus propre du monde. Et, mon téléphone reposait tranquillement sur cet accès aux canalisations. Je ne pris pas vraiment la peine de faire fonctionner mon cerveau, j'essayai de soulever la grille qui me barrait l'accès à l'écoulement d'eau sale. Celle-ci n'était pas fixée, et c'est à mon plus grand bonheur que je la jetai avec violence dans les fourrés où j'étais accroupie.
Heureusement pour moi, je possédais un sacré corps sans muscles, ce qui me permis de me glisser sur l'échelle qui descendait dans les profondeurs de la terre, sans grands efforts.  L'odeur horrible me fit tousser à plusieurs reprises. C'était un mélange de relent de marée basse, d'excréments fermentés et d'haleines fétides du matin, ce qui me poussa à plaquer une main sur mon nez.
Je pris mon téléphone, vérifiant l'état de l'écran et le pourcentage de la batterie. Avec soulagement, je constatai qu'il n'avait rien. C'est avec le sourire d'une hystérique que je remontai à l'échelle, heureuse de quitter cette odeur nauséabonde et cet endroit exigüe.
Ma tête buta contre une surface dure et froide : la grille d'égout ! Quelqu'un l'avait refermée, sûrement pendant que je récupérais mon téléphone. Et là, je vous assure qu'elle était bien refermée, bien fixée, comme par magie. À première vue, la grille me semblait identique à celle que j'avais jeté dans les hautes herbes, mais en m'éclairant au moyen de mon téléphone, je vis une signature. Un "K" doré.
La Klyde académie m'avait joué un mauvais tour. Étaient-ils en train de tester ma patience, ou bien de voir quelle goutte d'eau sale provenant de cet égout ferait déborder le vase ?

Quitte à ne pas pouvoir remonter en surface, il ne me restait plus qu'à avancer dans le boyau puant. De toute façon, si j'avais rejoins la terre ferme, je n'aurai rien fait. Je serai sûrement retournée dans le corbillard à attendre des secours en position fœtal.
J'allumai mon téléphone, lançant de la musique pour me motiver à bouger.

Maudissant la Klyde académie jusqu'à la centième génération, je commençai ma pénible progression. Plusieurs fois, j'entendis des gouttes tomber dans l'eau sale qui m'entourais. Anxieuse, je songeais aux énormes tuyaux fixés sur les murs de briques rouges, et à la masse de liquide immonde qu'ils pouvaient contenir puis déverser sur moi à tout moment.

Il était maintenant dix-huit-heure-trente comme l'indiquait si bien mon téléphone, dont j'avais réglé la luminosité au maximum. Même avec la douce lueur que projetait celui-ci, je peinais à voir à plus de quelques mètres devant moi. Je pestais contre l'odeur nauséabonde, contre les bruits inquiétants des rats blottis dans le noir, mais ces petites détails n'étaient rien comparés aux grosses goutes glacées et puantes qui me tombaient sur la nuque pendant que je marchais sur l'étroite passerelle. L'air froid de l'hiver me transperçait au fur et à mesure que le temps passait. Frigorifiée, je resserrai les pans de mon manteau contre moi.
C'est alors qu'elle apparut : la lumière divine d'Apollon. Bon, non, c'était juste le bout de ce boyau tortueux qui débouchait sur le flanc d'une colline. L'eau qui longeait l'accès de briques sur lequel je marchait tombait dans un bruit monotone. Une flaque se formait à cet endroit, et je fut contrainte d'y sauter afin de sortir de cet endroit répugnant.

Heureusement pour moi, je portait mes vieilles bottes militaires imperméables, ce qui m'évita de ressortir avec les pieds plus mouillés que Poséïdon en personne. Les derniers rayons du soleil disparurent et je levai les yeux vers le ciel. On aurai presque dit que les astres respectifs d'Artémis et son frère jumeau se battaient pour savoir qui réussirai à s'accaparer les cieux. Mais, à cette heure avancée de l'après midi, en ce début de soirée, je savais pertinemment qu'Apollon perdrait face à sa sœur jumelle et attendrait une heure plus propice au lever de l'étoile de feu.

Des arbres obstruaient quelque peu ma vision, et je décidais de grimper en haut de la colline afin d'avoir un meilleur point de vue. Un nouveau monde s'ouvrait timidement à moi. Des champs s'étendaient au loin, se perdant dans les bosquets de chênes. Les arbres étaient agréables à regarder. Vigoureux, il étendaient leurs branches, les mélangeaient. Quelques feuilles persistaient à rester accrochées à l'essence même de leur vie, luttant contre le froid mordant de l'hiver. Mais le clou du spectacle était l'œuvre de l'homme : un bâtiment envahi par la vigne-vierge qui s'étendait dans la longueur, tel un serpent, dont les tours se dressaient vers le ciel, comme si elles avaient une demande à lui faire. J'étais finalement arrivée à destination, après avoir affronté un égout puant, des rats et la batterie de mon téléphone.
Je m'accroupissais dans l'herbe mouillée afin d'apprécier une dernière fois le paysage. Sur que ça changeait de la banlieue nantaise taguée !
Perdue dans mes pensées, je sursautai en entendant un Pop ! énergique venant de mon dos. Je me retournai, les sens en alerte, les mains moites et le cœur battant. Derrière moi venait d'apparaître... un panneau aux mêmes écritures dorées que la grille d'égouts. Mes yeux parcoururent plusieurs fois ces lignes :

Éva Mainard, félicitations ! Vous venez de passer haut la main l'épreuve test des nouveaux élèves. Vous êtes invitée à rejoindre l'école.
K.

Académia  Klyde.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant