Chausettes et compagnie

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Je tournai le dos aux filles, me dirigeant vers le fond du réfectoire où des assiettes attendaient des preneurs. Je passai entre la table des élèves et celle des professeurs, et je dus sautiller comme un lapin pour éviter la purée jaunâtre qui jonchait le sol.
Tandis que je m'éloignais de l'inconnue polaire, je sentais la température jusque là basse, remonter en flèche. Il me semblait que mon sang coulait de nouveau dans mes veines. Tout était parfait. J'avais tout d'abord réussi à forcer les défenses de l'encapuchonnée et mon infiltration s'était révélée être un succès. Puis, j'étais partie dignement, intimant un respect muet à la l'impénétrable-pénétrée. La fierté s'insinuant en moi, j'avançai, gracieuse et dangereuse devant les regards troublés des élèves qui mangeaient. Un garçon légèrement plus âgé que moi semblait regarder quelqu'un avec plus de regrets qu'il n'en faut, mais aussi un soupçon de jalousie. Fouineuse que j'étais, je me tournai, suivant son angle de vue, traçant des pointillés imaginaires afin de me guider.

Ce que je vis me dégoûta : une adolescente, de l'âge du jaloux, assise sur les genoux d'un professeur, lui même assis à sa table respective. Si les yeux pouvaient tuer, l'enseignant douteux serai déjà mort, ainsi que les autres jeunes filles qui l'entouraient. Mon regard assassin croisa les iris bordeaux du pédophile et un combat où tout se jouait dans la vue débuta étrangement vite.
Une image d'une rare violence s'insinua alors dans mon esprit, brouillant quelque peu ma connexion avec le monde qui m'entourait. Je vis d'abord des armes, puis des corps inanimés qui volaient avant de retomber brutalement au sol. Des bruits d'explosion vinrent s'ajouter à l'hideux spectacle, ainsi que des flammes qui auraient pu atteindre la Tour Eiffel et la réduire à l'état d'acier liquide si elles l'avaient voulu. Un homme arriva alors, contournant mine-de-rien les trous béants qui ornaient le champ de bataille. Je pouvais distinguer ses yeux injectés de sang, bien qu'ils aient été recouvert d'un casque aussi noir que la nuit. Il avançait d'une démarche assurée, comme s'il avait vécu bien pire. Un plastron où était épinglée une rose rouge à l'apogée de son existence moulait ses pectoraux développés. Un poignard, accroché à sa ceinture, bringuebalait à chacun de ses pas. Le reflet de toutes ses armes m'éblouissait, ainsi que ses yeux où fleurissaient une violence et une envie de terreur extrêmes. Le guerrier m'offrit un sourire carnassier, révélant des dents parfaitement blanches qui contrastaient avec le rouge du champ de bataille dévasté. Je pris alors conscience de plusieurs choses :

1) Si je ne stoppais pas cette guerre de regards bientôt, l'homme me montrerai des choses bien pires. Ce qui me ferai sûrement passer le reste de mes jours dans un hôpital destiné aux gens avec le cerveau réduit à l'état de compost.

2) J'étais terrifiée, morte de peur et mes jambes tremblaient. Des filets de sueur dégoulinaient le long de ma nuque.

Je clignai donc des yeux, détournant le regard. Toute cette pseudo-vision s'était passée en une fraction de secondes, qui avaient été les plus terrifiantes de ma vie. Oui, plus encore que la fois où j'avais surpris ma grand-mère en train de danser la valse avec un balais brosse.
Et puis franchement, du bordeaux qui servait de couleur d'yeux ? Autant, mes yeux dorés et bleus me donnaient un look de prêtresse hippie qui aurait abusé de lentilles de contact, autant ces pupilles rouges et écarquillées semblaient avoir été arrachées à Satan en personne. Ça c'était passé si vite que je n'avais même pas eu le temps d'observer plus que ça le professeur. Tout ce que je retenais était une paire d'yeux incroyablement flippante.

Il était préférable pour moi d'avancer dans le réfectoire. Je bougeai donc mes jambes encrées dans sol et pris une assiette au hasard. Une puanteur sans nom irradiait de l'assiette comme une sorte d'aura meurtrière. Pour faire simple, vous risquiez de mourir d'asphyxie si vous étiez trop proche.
Essayez de vous imaginer l'odeur que dégagerait un pull roulé dans la boue et abandonné dans un casier de gym pendant une bonne semaine. Multipliez le fumet obtenu par dix et vous vous rapprocherez plutôt bien de la réalité.
J'étais allée m'installer à la table qui était déjà bondée. Je m'étais retrouvée tout au bout d'un banc, une fesse dans le vide, ce qui était peu pratique pour manger. Enfin, plutôt pour avaler le contenu répugnant de mon assiette en me bouchant le nez.
Un élève me faisait face. Apparement, il menait une discussion animée avec d'autres garçons. Puis, il s'était penché vers moi en m'observant comme si j'étais un de ces pauvres animaux de foire. Il m'avait demandé qui j'étais, ce à quoi j'avais répondu par un vague : "Je suis nouvelle". Il m'avait dit que c'était cool et il était ensuite retourné à sa discussion comme si je n'avais jamais existé.
J'étais fatiguée de ma journée.
Pour faire un rapide bilan, on était passé me chercher près de chez moi dans un immense corbillard noir, corbillard où je m'étais d'ailleurs réveillée en sursaut et où j'avais constaté que j'étais seule dans le véhicule. On m'avait ensuite fait passé une sorte d'épreuve qui consistait à me faire marcher dans un égout puant et presque aussi glacial que les yeux de l'amie de Flores. J'avais ensuite correctement répondu à la devinette de mon cher Monsieur Porte, puis j'avais pu rentrer au sein de l'académie. J'étais partie à la recherche du dortoir et j'avais fait rencontre avec un cochon ailé nommé Bacon. Nous étions devenu amis puis il était parti comme il était apparu après m'avoir fait gagner beaucoup de temps dans ma recherche du dortoir. De fil en aiguille, j'avais rencontré Flores, dont les hobbies étaient de voler et de danser en volant. Nous étions allées manger, mais elle était partie avec une inconnue qui me regardait comme si elle avait voulu me faire recracher mes tripes. Puis, un professeur douteux -et sûrement pervers- me faisait partager par la voie du regard ses pensées macabres et peu catholiques. J'avais eu peur et j'étais encore trempée de sueur. Je n'étais normalement pas de petite nature, mais je pense que cette vision aurait fait trembler le plus courageux qui soit. Cette Odyssée miniature avait été ponctuée d'apparitions de panneaux sarcastiques qui m'avaient valu des colères noires.  Une journée usante, somme toute. Je pense que vous voyez le topo, maintenant.

Académia  Klyde.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant