Sprotch de purée et princesse encapuchonnée

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Éva Mainard, encore une épreuve réussie ! On dirait bien que votre génie ne se tarit jamais. Demain, vous commencez les cours, alors préparez votre Qi (plutôt bas comme nous l'a signalé votre grand-mère) et votre pouvoir, vous en aurez besoin.
Ps : ne pensez pas gagner si facilement contre ceux qui vous traquent, votre route est semée d'embûches. Des cas extrêmes fleurissent ici et vous l'apprendrez suffisamment vite.
K.

Ho ! Quand je suis arrivée au dortoir, le message qui m'était adressé n'était pas si violent ! s'exclama Flores dans mon dos. Te serais-tu attiré les foudres de la direction ? questionna-t-elle.

-Je ne pense pas, bien que j'ai dû passer une épreuve horrible dans les égouts, répondis-je, pensive. Enfin, c'était surtout l'odeur qui était horrible, finis-je en me remémorant des souvenirs désagréables.

Flores poussa un cri qui ressemblait à celui d'un écureuil surexcité. Et oui, si vous vous posez des questions, j'ai déjà vu des écureuils surexcités, mais c'est une autre histoire.

Hein ?! Tu as passé une épreuve de quoi ? Des égouts ? hurla-t-elle presqu'aussi fort que ce cher M. Porte lorsqu'il était en colère.

Je confirmai en opinant du chef et ses yeux roulèrent dans leurs orbites telles des billes sur du goudron lisse.

Aucune personne de mon entourage n'a jamais passé cette épreuve, déclara-t-elle finalement. Les seuls tests dont je sois sûre de l'existence sont celui des bois, celui du lac, et celui des champs de maïs.

-Il y a un lac ici ? demandais-je, intéressée par des baignades sous le soleil d'été et les couches de crème solaire. Et le maïs grillé avec du beurre est aussi exquis, ajoutais-je en me léchant les babines.

-Oui, mais ce n'est pas le débat, dit-elle, mettant fin à la discussion d'un ton sans réplique. Maintenant, je suis certaine que tu es une élève encore plus spéciale que tous ceux recensés ici, fit-elle dans un moue mystérieuse.

-On peut parler d'autre chose ? suppliais-je d'une voix désespérée. J'ai toujours été la "Femme Invisible", alors ce n'est pas maintenant que je vais devenir le centre d'attention, expliquais-je sous la mine déconfite de ma nouvelle connaissance.

Flores m'avait glissé son éventail ouvragé sous le menton, le relevant au passage.

Tu n'aimes pas être sous le feu des projecteurs, comme les Anges de la télé-nullité-banalité-grossièreté-inutilité ? question a-t-elle d'un air soupçonneux, collant son nez au miens.

-Et oui, avais répondu, fière comme une enfant qui aurai réussi à construire une tour en Kapla sans la faire s'effondrer.

-On va bien s'entendre ! hurla-t-elle, l'air jovial, un sourire immense ensoleillant son visage aux traits burrinés.

Nous rigolâmes comme deux fillettes devant une vitrine de magasin de jouets. Nous parlâmes aussi de l'académie et de ses méthodes bizarroïdes pour traiter les sujets les plus extrêmes, comme le disait si bien ce fichu panneau.

Je consultai ma montre imaginaire quand Flores me tira par le bras. Elle me prévint que nous allions dîner et mon estomac répondit à ma place en se dressant sur ses pattes comme un chien.
Après un série d'escaliers en colimaçon aux marches grinçantes, un marathon sous forme de couloir tapissé de l'éternelle carpette rouge et la découverte de tapisseries plus hideuses les unes que les autres, nous arrivâmes tout en haut d'une tour. Je m'approchai d'une fenêtre, attirée par la vue imprenable qui aurait pu ravir facilement les yeux de n'importe qui. A une centaine de mètres en contrebas, une surface bleutée ondoyait calmement, entourée de chênes immenses. En effet, les arbres et les quelques feuilles qui s'entêtaient à rester accrochées à leurs branches fragiles formaient un cercle autour du lac, l'enfermant dans leurs bras nus. Je n'eus malheureusement pas le loisir de contempler plus longtemps ce spectacle majestueux, car une Flores sauvage et affamée exerça une pression sur mon poignet, ce qui me dissuada de traîner. Lorsque nous arrivâmes devant le réfectoire, j'étais en sueur et je trainais lamentablement des pieds, comme un animal auquel on aurai oublié de donner à boire sous un petit quarante degrés.
Deux tables surdimensionnées occupaient la quasi-totalité de l'espace. L'une d'entre elles semblait dédiée aux professeurs, malgré le fait que quelques adolescentes traînaient autour de l'un de ses occupants. L'autre qui était quasiment pleine semblait ployer sous le poids des assiettes et couverts. Il y régnait une agitation monstre, qui faisait tâche dans la richesse de la pièce. Tandis que les élèves se lançaient le contenu de leurs assiettes -peu ragoûtant, d'ailleurs- les bannières qui ornaient les murs se soulevaient doucement. Je jetai un regard à Flores qui avait lâché mon avant-bras meurtrit, la soupçonnant du vent qui faisait s'animer les décorations dans la salle-à-manger. Une armure qui siégeait dans un coin frappa du pied, faisant retentir un bruit sourd dans le réfectoire avant de s'effondrer au sol, sous les assauts du vent qui devenait de plus en plus violent. Le silence se fit comme par magie : les combats de nourritures cessèrent à la table des élèves et les gloussements répétés qui provenaient de la table des professeurs se turent. Maintenant, une soixantaine de paires d'yeux étaient braquées sur ma compagne de chambrée et moi, nous dévisageant activement. C'est alors qu'une fille se leva, la capuche rabattue sur la tête. Allez savoir comment elle faisait pour sortir indemne de la bataille de purée qui s'était déclarée lorsque nous étions arrivées. Elle s'approcha de Flores qui ne bougea pas d'un poil et qui soutint son regard pénétrant.

À quel moment je dois te dire que tu as de la purée dans les cheveux ? interrogea l'encapuchonnée en s'approchant des longue boucles brunes de Flores.

Ma colocataire qui n'avait pas répondu découvrit alors le visage de l'inconnue en lui enlevant sa capuche. Le silence qui était jusque là agréable se fit glacial. Je sentis aisément la température chuter d'une dizaine de degrés autour de moi. Les élèves attablés avaient baissé la tête avec respect et regardaient à présent leurs chaussures. Je reportai alors le regard sur le visage de l'inconnue polaire, l'analysant de toute part. Elle devait mesurer quelques centimètres de plus que moi et aurai facilement pu défiler parmi des tops modèles. Ses cheveux blonds vénitiens formaient des anglaises gracieuses qui s'arrêtaient au niveau de ses épaules. Ses iris bleu délavé transperçaient ma colocataire, lui intimant le respect muet. Son nez fin qui était légèrement retroussé aurait pu lui donner un côté charmant si ses yeux ne vous gelaient pas sur place. Sa taille était fine, sa posture gracieuse, mais son attitude semblait agressive. Elle esquissa un geste dans la direction de Flores mais son attention se reporta vers moi. Toute ma raison me hurlait de partir en courant, mais mes jambes restaient obstinément encrées dans le sol. Mes muscles se tendirent, mes poings se serrèrent automatiquement. J'utilisai mon empathie, pouvoir que j'avais entraîné en décryptant pendant de longues années les émotions complexes de ma grand-mère. J'en étais arrivée à un stade où je pouvais deviner aisément toute sorte d'émotions, aussi complexes soient-elles. Je m'intimai le calme, la détente. Je m'imaginai à la place de cette fille effrayante, intéressante, mais agressive, également. Je rouvris les yeux violemment, une lueur étrange dansant dans le regard. Je vis alors à travers l'esprit de cette fille dont j'ignorais l'identité : des barrières me compliquèrent l'entrée de son âme, mais mes heures de pratique intense me sauvèrent la mise. J'étais parvenue à forcer son esprit à m'accepter.
Tout dans son être était parfaitement ordonné, chaque pensée classée dans un casier imaginaire, sur une étagère fictive ou dans une armoire abstraite. Tout était propre, étiqueté, classé, mais jamais oublié. Des sentiments complexes envers les gens, envers Flores, qui, comme je venais de le découvrir était son amie la plus proche. Les émotions que ressentaient l'inconnue pour ma colocataire étaient une amitié à toute épreuve, forte et chaleureuse, contrairement à ses yeux froids. Elle était très attachée à ma colocataire.
Simplement, je ne pouvais pas vraiment comprendre ces sentiments, car moi qui n'avais jamais eu d'amis sur qui compter, je n'avais jamais éprouvé d'attachement -à part peut-être pour ma grand-mère, mais trop de fierté tuait l'affection.

J'avais toujours pensé que je ne pouvais pas démêler une situation que je n'avais jamais vêcue, et c'était justement le cas. Je me décidai donc à stopper mon sondage d'esprit avant de tomber sur des détails trop gênants. Par exemple, chez ma grand-mère, j'avais appris qu'elle essayait à ses heures perdues de parler par télépathie avec ses chiffons à poussière adorés. Je rouvris les yeux, satisfaite de mon opération qui s'était révélée être un franc succès. La réalité me frappa familièrement quand je rouvris les yeux. L'inconnue me fixait intensément, l'air pantoise et interrogative devant mon expression perdue.

Allez essuyer votre purée, ça ira pour moi, Flores, dis-je en observant sa réaction, le réfectoire pendu à mes lèvres.

-Qui es-tu pour parler ainsi ? questionna sauvagement l'ex-encapuchonnée en me jetant un regard noir.

-Éva Mainard pour te servir, avais-je répliqué, une esquisse de sourire plaquée sur le visage.

Je tournai le dos aux filles, me dirigeant vers le fond du réfectoire où des assiettes attendaient des preneurs. Je passai entre la table des élèves et celle des professeurs, et je dus sautiller comme un lapin pour éviter la purée jaunâtre qui jonchait le sol.

Académia  Klyde.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant