Salut à toi, Sarcasme-né

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C'était vers l'âge de sept ans que j'avais compris que le prince charmant n'existait pas. Principalement parce que mes cheveux étaient toujours emmêlés et ressemblaient à un nid d'oiseau, que j'étais toujours tachée et que ma figure était toujours sale. Communément, ce n'est pas ce genre de fille que sauve les princes charmants : plutôt celles qui sont fines et gracieuses comme des cygnes, avec une peau de porcelaine et des cheveux couleur or pâle, qui ont la bonté dans l'âme et les yeux clairs comme l'eau d'une fontaine. Également, parce que toutes les filles de mon école primaire ne cessaient de trouver des ressemblances avec un caniche, et que dès que j'ouvrais la bouche, l'une d'entre elles aboyait en me lançant un regard moqueur. Puis, ma grand-mère avait fini par me convaincre que le dépoussiérage et le ménage étaient beaucoup plus amusants et que je perdais mon temps à croire à des choses idiotes.

Madame Rings était à deux doigts de céder à la panique qui avait envahi la classe. Je ne sentais toujours pas mes mains et les limaces gigotaient encore sur la table en laissant derrière elles un filet brillant. Dans un bruit de chaise plus fort que les autres, quelqu'un se leva et s'avança jusqu'à moi. Et là, je vous jure que c'était le prototype du prince charmant. Si j'avais su, j'aurais vraiment continué à y croire. Malheureusement pour vous, je ne pourrai pas vous le décrire. Pour faire court, j'étais tellement terrifiée que j'avais l'impression que quelqu'un avait coupé la connexion entre mon cerveau et mes yeux.
Tu rêves, disais mon cerveau, reveille-toi.
-Mais c'est bien ce que nous voyons, c'est la réalité, répondaient mes yeux à l'unisson.

Je venais de gâcher une amitié avec vingt-cinq élèves avant même des les connaître. Et tout cela était parti d'une drôle de phrase à laquelle j'avais pensé : j'avais comparé mes mains à des limaces. Mon coeur battait à tout rompre et telle une petite souris, j'avais envie de me réfugier dans un trou. Ou un tombeau. Ou un cercueil. Ou une grotte. Ou une caverne. Même le cratère d'un volcan en activité aurait été mieux. Le regard vitreux, je vis le pseudo-prince venir vers moi. Il ferma les yeux et sembla se concentrer, comme si les anglais débarquaient, si vous voyez ce que je veux dire. Alors, il fit un grand mouvement circulaire avec sa main. Il coupa le cercle imaginaire en plusieurs parties, le tout en dessinant dans l'air. C'était invisible, mais vu comme il gesticulait, ça devait être magnifique.
Tout à coup, il rouvrit les yeux. Les grosses limaces volèrent en direction de mes poignet et elles s'y collèrent en répandant une matière affreusement gluante sur mes avants-bras. Puis, comme pour faire taire les cris paniqués qui m'échappaient, quelques gouttes de cette substance poisseuse se firent projeter sur mes lèvres. Non sans m'essuyer la bouche, je grognai et maudissait tout ce qui m'entourait dans un rayon de cent mètres. Je m'essuyai la bouche... avec mes mains ? Sans trop y croire, je baissai les yeux vers l'endroit où elles auraient dû se trouver.
Or, mes mains étaient là. Je reconnus mes doigts, aussi translucides que des raviolis chinois et aussi fins que des baguettes japonaises. Je les tapai les uns contre les autres histoire de vérifier que ce n'était pas le fruit de mon imagination. Après les avoir minutieusement observées et vu la brûlure que je m'étais faite il y'a quelques semaines avec un fer-à-repasser, je fus sûre que je n'avais pas rêvé. Mais, croyez-le, j'aurais bien voulu.
Le garçon qui m'avait aidée me fixait froidement, comme si j'avais été une sorte de déchet qui faisait tâche près de ses chaussures neuves. Avant de retourner s'asseoir, il me murmura, cinglant : Tu fais vraiment pitié, la nouvelle.

-C'est ça, j'aurais très bien pu m'en sortir toute seule, lui rétorquai-je.
Je savais qui c'était totalement faux, mais le peu de dignité qui me restait me dictait de me faire respecter. Il étouffa un rire moqueur et me tourna le dos, faisant se soulever ses cheveux noir jais au rythme de ses pas. Je le fixai, puis m'excusai piteusement auprès de la classe et de Madame Rings. Je suis maladroite, conclus-je d'une pauvre voix.
Sur ce, je courus presque pour regagner ma place. Flores me lança un regard compatissant mais interloqué. J'avais bien compris que nous aurions une discussion sur ce qui venait de se passer rapidement.
Madame Rings se leva et annonça que nous étions libres jusqu'à notre prochain cours. Apparemment, elle avait besoin de se remettre de ce qu'elle avait vu. La pauvre, malgré son air effrayant -ou juste loufoque- j'avais de la compassion pour elle. J'étais une sorte de bombe-à-retardement qui avait surpris tout le monde. Tous les élèves sortirent de la classe, tel un troupeau de moutons. Je distinguai quelques chuchotements où il était question de karma pas cool et de champignon hallucinogènes. Et de moi, la nouvelle, bien sûr.

Académia  Klyde.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant