Éclats de verre, éclats de vie

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Note avant de commencer : Cette fiction se déroule à Paris, au XIXème siècle.

Je m'avançais dans les rues désertes de Paris. La nuit tombait. La lune éclairait d'une clarté blafarde les pavés de pierre. J'accélérai le pas. Quarante-deux, quarante-quatre... Ma destination était proche. Je sortis mon gousset. Vingt heures quarante-cinq. Il était temps.

J'arrivai enfin devant le numéro cinquante-cinq. J'actionnai le heurtoir argenté. Trois coups. Pas de réponse.

« Olympia ? » criai-je.

Personne. Je décidai d'entrer. Bizarrement, la porte n'était pas verrouillée. Je pénétrai dans la vaste demeure. C'était la première fois que j'entrais chez elle. La pièce dans laquelle je me trouvais était plongée dans l'obscurité. Je vis cependant une lueur au premier étage.

Elle éclairait l'envolée écarlate d'un escalier majestueux. Je fis un pas. Puis deux. Ne pouvant résister à la tentation d'en découvrir davantage, tant sur la pièce que le lieu dans lequel se trouvait Olympia, je gravis les marches.

La lumière provenait d'une bougie posée sur une coiffeuse. La chaise était renversée. Étrange. Voulant m'approcher, j'entendis un craquement léger sous mon pied. Baissant le regard, j'aperçus une multitude de débris de verre qui jonchaient le sol. Intrigué, mes yeux se posèrent sur l'imposant miroir qui reposait sur la coiffeuse. Il était brisé. De plus en plus étrange.

Perdu entre les fioles de beauté, je distinguai un journal. Un journal ? Ici ? Pourquoi ? Oubliant la raison pour laquelle j'étais venu, je l'ouvris.

Voici ce que j'y lus :

9 Mai :

Aujourd'hui, j'ai décidé de faire l'acquisition d'un miroir, le mien étant trop petit pour ma grandeur. Je suis donc allée chez un antiquaire pour espérer trouver la pièce qui puisse me convenir. Et c'est là que je l'ai vu ! Un grand, un beau miroir, serti d'or. Il est magnifique ! Je l'ai emporté précipitamment chez moi et l'ai accroché. Quelle splendeur !

11 Mai :

Ce miroir est merveilleux : quand je m'admire, je suis encore plus splendide qu'en réalité.

Espérons que je serai magnifique demain soir.

14 Mai :

À la réception mondaine du 12 mai, tout le monde a succombé à mes charmes. Ce n'est que normalité en fait. C'est étrange. Quand je prends place face au miroir, j'ai l'impression qu'une voix me conseille sur la façon dont je dois appliquer mes lotions. Je l'écoute bien sûr.

26 Mai :

J'étais conviée hier chez un bourgeois rencontré lors d'une réception. Alors que je buvais mon thé, il m'a appris la disparition de son gousset d'or.

Ce matin, j'ai découvert un gousset d'or sur ma coiffeuse...

10 Juin :

On m'a appris qu'une demeure proche de la mienne avait été incendiée. Le lendemain, en me réveillant, j'ai vu mon visage couvert de suie et ma robe noire de cendres. Je ne me rappelle pourtant pas être sortie de chez moi.

J'ai l'impression d'être plus belle que jamais. La voix me guide, m'oriente. Je ne pourrais me passer d'elle.

22 Juin :

Deviendrais-je folle ? Des poils roux recouvraient ma tenue lorsque j'ai appris la mort du chat de ma voisine. Elle en est morte de chagrin. Mais jamais je ne fréquenterais quelqu'un comme elle !

8 Juillet :

À la dernière réception mondaine, tous les jeunes hommes se sont retournés sur mon passage. L'un d'eux m'a informé de la mort d'une des dames conviées.

9 Juillet :

Du sang sur mes mains. Mes draps rouges. D'où cela peut-il venir ?

Qu'importe, du moment que le miroir continue de me conseiller. C'est étrange tout de même tout ce qui m'arrive.

16 Juillet :

Ma mère est morte. On me l'a dit aujourd'hui. C'est triste, quand je l'ai vue il y a deux jours elle me trouvait resplendissante.

17 Juillet :

De nouveau ce sang sur moi. Que faire ? Et si toutes ces horreurs c'était moi qui les avais commises ? Non... Ce n'est pas possible... Aurais-je tué ma propre mère ?

Plus j'embellis, plus je sème le malheur. Et le miroir qui ne cesse de me conseiller, de me rassurer. Et si il fallait le faire disparaître ?

19 Juillet :

C'est décidé. Aujourd'hui je brise le miroir. Hier encore, quelqu'un est mort par ma faute. Je ne peux plus ! Semer le malheur, fendre les cœurs... Que tout s'arrête ! Maintenant !

Le journal s'achevait ici. Olympia... Comment as-tu pu ?

Elle était devenue folle, sans nul doute. J'observai à nouveau le miroir. Il était de forme ovale, quasiment circulaire. Le cadre doré abritait la glace fendue.

Mais... Où était celle qui l'avait brisé ?

M'apprêtant à quitter cet endroit, je fis quelques pas puis trébuchai contre... Contre quoi ?

Hésitant, je palpai une matière froide, lisse. Je découvris avec horreur qu'il s'agissait de peau. Et quelle peau !

Me relevant, je vis la scène sordide, macabre qui me faisait face.

Elle avait la peau extrêmement pâle et portait la robe qui encore maintenant lui allait si bien.

Sa bouche était entrouverte, sa chevelure brune entourait son crâne, telle une auréole.

Ses yeux restaient écarquillés, laissant voir leur blanc laiteux. Une expression de terreur extrême était peinte sur ce visage toujours séduisant. On eût dit que la vie s'était échappée d'elle, comme un oiseau désireux de quitter sa cage.

Une larme perla, chuta puis enfin ruissela sur le cadavre d'Olympia.

Il fallait partir ! Me dirigeant vers l'escalier, une voix s'éleva. Glacée, tranchante, immatérielle, désincarnée... Elle me pétrifia instantanément.

« Approche ! » murmurèrent les débris du miroir.

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