Chapitre 9 - Je te hais

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Septembre 1940

Trois fois. J'ai dû la relire trois fois. Trois fois pour me dire que je ne me trompais pas dans la lecture. Trois fois pour me dire qu'il était écrit noir sur blanc ce que je n'ai jamais voulu entendre. Trois fois pour me dire que j'ai reçu une lettre, ma première lettre, qui n'était pas de Thomas. Trois fois pour me dire « alors, nous y voilà ». Mais malgré tout, je ne voulais pas y croire. Je ne veux pas y croire. Pour moi, ce n'est pas vrai. Ça ne peut être vrai.

Thomas n'est pas mort. Pas comme ça. Je m'y refuse.

L'enveloppe m'échappe des mains tandis que je m'effondre sur mon lit. J'ai l'impression de vivre un cauchemar. Pourquoi ? Pourquoi est-ce qu'il faut que ça se passe comme ça ? Pourquoi devons-nous subir ça ? Qu'est-ce que l'on a fait pour mériter ça ?!

À côté de moi, assis, au bord du lit, il y a Antoine. Il me parle, je le sais, je l'entends, mais je ne l'écoute pas. Antoine est là, à côté de moi mais à cet instant, c'est comme s'il n'existait pas. Plus rien n'existe. Le monde s'écroule et tout ce en quoi je croyais a semblé disparaître aussi. Thomas était ma bouée, ma balise de repérage, il était tout ce qui me restait dans ce monde mis à feu et à sang. Thomas était pour moi, ce que j'avais de plus précieux.

Alors je réalise. Je réalise que Thomas est sans doute mort. Rien que d'y penser, j'en ai la nausée.

Et puis, très vite, mes sentiments changent. Évoluent. Se transforment. Envahie d'une profonde colère, je ne sais rien faire d'autre que de hurler, déchirant cette lettre venue d'ailleurs. Cette lettre m'annonçant que maintenant, dorénavant, je suis seule.

J'en veux à Thomas. Présentement, je lui en veux. Oh oui, je lui en veux terriblement. Lui qui m'avait promis de revenir. Lui qui m'avait dit qu'il reviendrait. Lui qui m'a fait jurer de l'attendre. Je lui en veux. Tant de mensonges au final. Tant de sacrifice pour quoi ? Pour apprendre que Thomas est mort.

Au bout de presque un an, Thomas est mort.

Pourquoi lui et pas un autre ? Cette pensée me révulse et dès que j'en prends conscience, je me trouve horrible. Personne ne mérite de mourir mais Thomas non plus.

Personne n'avait le droit de mourir.
Personne n'avait le droit de m'abandonner...surtout pas lui.

« - Qu'est-ce que tu fais Élise ? »

J'écris. J'écris une dernière fois. C'est la seule chose que j'ai. La seule chose qu'il me reste. Après tout ce qui nous a été arraché.

« Thomas,

Dis-moi Thomas, est-ce qu'un jour, tu reviendras ? On dit dans tout le village que tu ne reviendras peut-être pas. On dit même que tu es peut-être mort. Mort avec les autres. Je ne veux pas y croire parce que je sais que ce n'est pas vrai. Je sais que tu n'es pas mort, pas toi. Pas comme ça. Dis-moi Thomas, est-ce qu'un jour tu rentreras ? Et ce jour-là, est-ce que tu me reviendras ?

Ô Thomas, si tu savais, si tu pouvais ne serait-ce qu'imaginer comme je t'en veux. Je t'en veux de me laisser. Je t'en veux de m'abandonner. Je m'accrochais à tes mots, à tes promesses, c'était tout ce que j'avais. Et maintenant quoi ? Maintenant que va-t-il advenir de moi ? Serais-je seule à jamais ? Devrais-je me contenter de ton absence ? Devrais-je apprendre à vivre sans toi ?

Je t'en veux. Vraiment. Si jamais, un jour, ces mots te parviennent, sache-le : Je ne te pardonnerais pas de mourir. Pas après m'avoir laissée, sur le pas de ta porte, me chuchotant à l'oreille « Je reviendrai », dans un faible sourire. Tu n'as pas le droit de me faire ça car je t'attends.

Oui Thomas, je t'attends et je t'attendrai toujours. »

Parce qu'il ne peut pas être mort. Je le sais. J'en suis convaincue.

Cher ThomasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant