Le devin ramena Eyma à l'intérieur. Il allait aider la jeune fille, mais avant cela, il voulait consulter les dieux. Il craignait leur jugement. Si laisser Eyma avoir accès à la magie était contre leur volonté, il redoutait les conséquences que cela pourrait avoir.
Il s'assit au centre de l'unique pièce de la cabane. De sa poche, il tira de vieux dés usés. Il les prit à deux mains et demanda à Eyma de s'asseoir. Il n'ajouta rien et ne lui expliqua rien. Elle se mit en face de lui et regarda attentivement ce qui se passait, sans oser intervenir.
Le devin fit s'entrechoquer les dés dans ses mains, d'un rythme régulier et ininterrompu. Il fixait intensément Eyma. Ce regard, posé sur elle, aspirait la jeune fille, elle ne voyait plus rien d'autre. La pièce s'était assombrie, et une brise légère semblait provenir des mains fermées du devin. Quelques minutes auparavant, c'étaient des dés qui étaient entre ses doigts. À présent, Eyma n'était plus sûre de rien... La brise légère semblait chercher le contact de sa peau et dans les yeux qui la fixait, elle ne reconnaissait déjà plus le devin avec qui elle discutait quelques minutes auparavant. Une puissance étrange mais extraordinaire avait envahie la pièce.
Soudain, le devin ferma les yeux, et quand il les rouvrit, ils étaient blancs comme lait. Un grondement sourd se fit entendre et Eyma comprit qu'il était possédé. La crainte la paralysait, mais ce qu'elle savait ensorceler le devin ne l'effrayait pas. Elle redoutait ce qu'il allait dire bien plus que ce qu'il pouvait faire.
En réalité, il ne dit rien. Il fixait Eyma, de ses yeux vides. Son regard se fit de plus en plus terrible, il lui glaçait le sang. Elle avait l'impression qu'il lisait en elle, comme dans un livre ouvert, qu'il l'examinait sous tous les angles, qu'il fouillait son passé, qu'il vérifiait chacune de ses actions. C'était pire qu'être nue, car sa peau ne pouvait pas cacher ses pensées, ses espoirs, ses craintes, ses rêves. Ses désirs de vengeance.
Tout à coup, tout s'arrêta. Le devin rouvrit les mains, lâcha les dés et la cabane reprit son aspect normal. La séance était terminée.
Le chiffre sept s'affichait sur la face des dés : il fallait en conclure que les dieux étaient favorables à l'entreprise d'Eyma... il fallait croire qu'ils condamnaient la sorcière rouge.
Le devin se leva, et dit à Eyma de se préparer. Elle lui demanda ce qu'il avait vu, mais il ne voulait pas répondre. Il avait l'air bouleversé.
Il fit asseoir Eyma sur le lit et prit sa main. Avant de réveiller ce qu'elle voulait réveiller, il voulait lui montrer ce qu'il allait faire : il sortit une aiguille à coudre de sa poche et la frotta contre sa cuisse. Un fil bleu, ténu mais étincelant, apparut peu à peu dans le chat de l'aiguille. Alors, au-dessus de la main d'Eyma, le devin se mit à faire comme s'il était en train de broder. Malgré la qualité surnaturelle du fil, Eyma ne put s'empêcher de sourire en le voyait faire sa broderie en l'air. Il leva des yeux fâchés sur elle et lui dit de regarder sa main.
Un motif bleu s'y dessinait, au fur et à mesure que le devin faisait sa couture. C'était une jolie petite fleur qui brillait sur sa peau. Le devin levait pour la dernière fois l'aiguille lorsqu'Eyma ressentit une vive douleur à la poitrine, à l'endroit même de sa blessure. Le devin ne semblait pas surpris. La douleur s'accrut et devint presque insupportable. On tirait sur ses chairs meurtries, on mettait les doigts dans la plaie, on refaisait couler le sang. Sur sa peau, tout était déjà refermé, ce qui faisait que sa douleur était la pire des douleurs : celles qui sont renfermées à l'intérieur de nous-mêmes et dont la cause est notre corps lui-même. Elle pleurait en silence ; elle avait trop mal pour parler. Elle questionnait le devin du regard. Il daigna enfin lui répondre.
Cette broderie sur sa main éveillait pour quelques tours de passe-passe la magie qui était en elle. Elle pouvait aussi la soigner, mais cela aurait des conséquences : la broderie disparaîtrait. Et effectivement, la fleur s'effaçait. Au dernier pétale disparut, Eyma n'aurait plus de pouvoirs. Cette fleur, c'était juste un exemple. La disparition de cette petite fleur n'était d'aucune importance. Le dessin définitif, en revanche, devait à tout prix ne jamais s'effacer. S'il pourrait soigner plusieurs blessures, elle devait prendre garde de ne plus jamais recevoir de coup aussi grave que celui du poignard. Le dessin s'effacerait un peu plus à chaque plaie soignée. Si jamais le fil se dérobait, alors Eyma pourrait faire une croix sur la magie. Pour toujours.
La jeune fille hocha la tête. La douleur s'estompait avec le dernier pétale de la fleur. Elle défit le bandage de sa poitrine. Sa peau était aussi blanche que celle de sa main. Nulle plaie, nulle cicatrice. Tout s'était envolé dans le souffle du vent.
VOUS LISEZ
Au Mépris des dieux [Cycle 2]
FantasyDans les villages, on se terre de peur à l'évocation du nom de la sorcière rouge... Son passage ne laisse jamais derrière elle que la trace des cendres qui dévorent jusqu'aux châteaux des plus puissants. Eyma n'avait rien demandé. Elle n'avait provo...