Eyma fit un pas dehors. Le soleil brûlant de l'été avait tué l'herbe autour de la cabane du devin. Mais sous son pied, elle sentait un gazon frais et épais. C'était doux, confortable, rassurant. Les brins lui chatouillaient la peau, comme une caresse d'amour, comme un tendre enlacement. Elle posa un deuxième pied dehors et vit les brins sortir de terre, sous sa plante.
Elle courut, l'herbe la suivait. La douleur avait disparu, elle se sentait de nouveau libre. Elle riait. Le vent n'était plus un obstacle. Ses jambes étaient légères... Elle fit un tour sur elle-même et la clairière s'anima tout d'un coup d'une vie nouvelle, fraîche. Elle riait et les oiseaux lui répondaient. Elle leva le bras et au bout de ses doigts s'envolèrent mille papillons. D'un souffle elle les éparpilla. Elle leva les yeux au ciel et un pétale blanc lui tomba sur le nez, comme un flocon. Elle ferma les yeux et s'imagina cette pluie de fleurs. Elle les rouvrit et la clairière était inondée de roses blanches. Elle invita la mer à se joindre à elle en soufflant dans les branches des arbres.
Tout était facile, tout était fluide. Tout était une part d'elle-même. Les fleurs poussaient lorsqu'elle ouvrait les bras. Elle écartait les nuages de la main, ou les rassemblait en fermant le poing. Elle était grande, elle était puissante ! Ses pas rendaient un écho. Sa voix était forte. Elle s'appuyait sur le monde et le monde s'appuyait sur elle. C'était un cercle complet dont elle prenait conscience alors. Ce qu'elle créait, ça donnait une importance à sa vie, à ses actes. Une averse éclata, dense comme les rares averses de l'été. Eyma était trempée, mais elle riait à gorge déployée.
Au château, elle n'avait pas le droit de courir. Elle ne pouvait pas rire ouvertement. Elle était serrée dans des robes encombrantes. Elle apprenait à se taire, à broder, à prier, à être jolie. Au château, elle côtoyait les femmes que son père jugeait bon qu'elle côtoie. Elle suivait les cours qu'il voulait qu'elle suive. Elle mettait les robes qu'il aimait. Elle voulait être belle pour son papa. Le poignard avait laissé une cicatrice assez laide, qu'on voyait par les trous de la chemise qu'elle portait ; usée et sale, celle qu'on utilise pour les malades en qui on ne place pas grand espoir. Elle ne suivait pas l'étiquette, elle était habillée comme un homme, elle avait le rire gras du fond de la gorge, elle n'était pas jolie. Elle était libre.
Elle fronça les sourcils et frappa le sol du pied. La terre rendit un grondement sourd et se mit à trembler. Elle leva les bras et les baissa ; la pluie suivi son mouvement et tomba d'un coup, avant de reprendre son allure normale. Elle claqua des doigts et un éclair alla foudroyer un pivert qui se vaquait à ses occupations. Elle fit des mouvements avec ses bras et l'onde qui en jaillit alla tailler quelques branches. Eyma se rendit compte de la puissance de ce qu'elle venait d'acquérir. Le devin avait raison ; dans la haine ou dans l'amour, la force était la même, mais il ne fallait pas qu'elle se trompe. Où menait la haine ? Elle regarda ses mains. Elles étaient blanches. Comme une feuille de papier ; aucun stylo n'avait encore tracé de ligne.
Ce grand pouvoir qu'Eyma avait acquit, il avait fallu que toute sa famille meure pour qu'elle puisse l'obtenir. Et en même temps, c'était si grand, si beau.... Elle était heureuse d'être là et de vivre ce moment. Tout ça lui avait coûté si cher.. elle se promit de rendre l'usage qu'elle en ferait un hommage à sa famille disparue. Elle se promit qu'elle ne s'en servirait que pour être libre. Elle jura qu'elle ne deviendrait pas comme la sorcière rouge.
Elle voulut savoir si elle pouvait se débarrasser vraiment de ce qui pesait lourdement sur les hommes. Elle regarda la pluie droit dans les yeux et bientôt elle fut plus haut qu'elle.
Elle posa le pied sur le nuage, c'était étrange. C'était chaud et humide, comme un nid immatériel. Elle leva le nez, commença à marcher puis se mis à accélérer le pas de plus en plus vite, jusqu'à ne plus sentir ses poumons dans sa poitrine. Elle n'arrivait pas à croire qu'elle courait dans les nuages. Elle s'arrêta lorsque le ciel était de nouveau vide. Elle leva les yeux vers l'horizon et vit une jeune femme devant elle. Elle avait l'air d'avoir couru elle aussi. Elle avait les mains rouges.
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Au Mépris des dieux [Cycle 2]
FantasíaDans les villages, on se terre de peur à l'évocation du nom de la sorcière rouge... Son passage ne laisse jamais derrière elle que la trace des cendres qui dévorent jusqu'aux châteaux des plus puissants. Eyma n'avait rien demandé. Elle n'avait provo...