3|Une rencontre inattendue

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Aujourd'hui marque le début d'un nouveau départ.
Je suis côté passager de la Range Rover que conduit mon nouveau frère. Il a eu son permis une année auparavant puisque le permis de conduire est autorisé dès 16 ans en Californie.
Cela fait 2 semaines que je suis arrivée mais j'ai décidé d'intégrer mon nouveau lycée, celui de Lukas, plus rapidement que prévu. Presque 3 mois que je reste à pleurer la perte de mes parents et de ma sœur, sans compter l'année entière que j'ai passé à penser à rien d'autre qu'à lui, il faut que je me jette à l'eau. Il faut que je me reconstruise et que je me prenne en main. Parce que c'est ce que papa et maman auraient voulu... Je me répète cela constamment pour me donner du courage.

Je repense sans cesse à ce jour où la pression dans ma poitrine s'est tellement accumulée que sauter du haut d'un immeuble m'a semblé être la seule solution à ma souffrance intérieure. Mettre fin à ma vie. Et puis, il y a eu ce vieux concierge qui a été agressif en voyant une inconnue dans l'établissement mais qui a ensuite été clément lorsqu'il a appris mes attentions. Je ne serai plus là sans lui. C'est étrange ce sentiment de gratitude envers une personne que je ne connais même pas.

Le trajet dure une dizaine de minutes. La discussion se fait rare même si nous, Lukas et moi, nous sommes rapidement entendus. C'est en passant du bon temps avec lui que je me suis rendue compte à quel point j'avais besoin de compagnie. Cela fait des mois entiers que je n'ai pas rit ou même souri. Mon stresse se manifeste avec mes mains moites, ma gorge nouée et mes épaules crispées. Lukas tourne la tête dans un geste rapide et m'adresse un sourire chaleureux.

L - Tout va bien se passer Beverly, pas besoin de t'inquièter. Il se retourne vers la route et prend le virage à gauche. On va d'abord passer voir le directeur pour qu'il te donne des fiches qui te guideront pendant cette journée. Le lycée est grand mais au final on s'y retrouve facilement. Et puis, je serai pas loin. Ici, les élèves du 11th Grade et du 12th Garde s'entendent plutôt bien, y'a pas vraiment de barrière.

B - Merci Luke (petit surnom diminutif de Lukas) C'est gentil de me rassurer mais je t'avouerai que tes paroles n'ont aucun effet sur mon anxiété.

L - On arrive, sors moi ton plus joli sourire.

Une fois la voiture stationnée, nous descendons de celle-ci et prenons nos sacs à dos sur la banquette arrière.
Le bâtiment est grand, mais vraiment très grand. À moins que ce soit ma nouvelle vie qui soit démesurée puisque ma nouvelle maison est plus noble que l'ancienne, la voiture de Lukas est plus spacieuse que celle de papa, les routes semblent plus larges que celles que j'avais l'habitude d'emprunter et le lycée en face de moi est deux fois plus impressionnant que celui où j'étais scolarisée. Il faut que je cesse de tout comparer, il faut que je laisse mon passé derrière moi.

On entre dans l'enceinte du lycée et je suis Lukas de près en voyant des regards inconnus se poser sur moi. Je déteste être au centre de l'attention, surtout lorsque je ne connais pas ces gens. Je me sens intrus, rejetée et jugée par tous ses pairs d'yeux. Ce lycée est immense.

Lukas toque à la porte du bureau du directeur et une voix grave lui répond, lui autorisant de pénétrer dans la salle. J'accompagne Lukas comme une enfant perdue suit sa mère. La situation doit être amusante, si je n'étais pas moi.
Un homme robuste à la cravate serrée se tient debout derrière son bureau. Nous nous saluons poliment. Mon nouveau frère et moi sortons après que le proviseur m'ait donné quelques explications et des feuilles sur lesquels se trouve mon emploi du temps, mes salles de cours et un plan complet du lycée. Selon lui, je vais devoir suivre attentivement en cours et travailler des heures supplémentaires pour rattraper tout ce que j'ai manqué. Effectivement, arriver en plein milieu de l'année n'est pas une très bonne idée. Mais je me sens motivée. Et puis, des cours particuliers, ça ne va faire que m'occuper et donc m'empêcher de penser et de ressasser mon passé. C'est tout ce dont j'ai besoin, oublier mes problèmes.

Lukas m'accompagne jusqu'à ma salle de littérature et se dépêche de partir rejoindre son équipe de Baseball du côté opposé du bâtiment.

Je me retrouve seule devant cette porte dont la poignée semble me chuchoter de ne pas la tourner. J'avale douloureusement ma salive, toque et pousse la porte. Mes pieds restent collés au sol comme si un champ magnétique m'empêchait de faire un pas de plus. Tous les élèves se tournent vers moi ; je vois certains d'entre eux arrêter décrire, d'autres en train de chuchoter à leur voisin et d'autres se contentent de me toiser avec leurs yeux perçants. Je sens immédiatement la timidité avoir raison de moi, mes joues chauffent et mes mains deviennent moites. Je n'ai jamais réellement été timide mais cette situation m'embarrasse énormément. Je me sens comme une étrangère qui passe sous les rayons x d'un scanner. Honnêtement, je me demande si mes pieds ne sont pas au stade de liquéfaction en ce moment même. Les chuchotements de mes futurs camarades bourdonnent dans ma tête. Le professeur de littérature a, elle aussi, levé les yeux de son tableau pour me prêter attention.

- Tu es nouvelle, c'est ça ?

B - ...oui.

- Beverly Cooper ?

Je me contente de hocher la tête en essayant de paraître le plus naturel possible.

- Prends place au fond, je t'en prie.

Je ne me fais pas prier et me presse de m'installer à l'un des derniers bureaux libres, près du radiateur. Enfin quelque chose de positif en ce mois de février. La chaleur du radiateur m'apaise mais je crains qu'elle ne pourra réchauffer la pierre de glace qui remplace mon cœur depuis un bon moment.

J'essuie mes mains moites sur mon jean, un toc que je fais quand je suis stressée. Je sors un carnet de notes, une trousse et écoute le cours. La littérature anglaise n'a jamais été mon domaine. J'aime lire, sans plus. Les paroles du professeur deviennent rapidement du charabia et un fond sonore. Mes pensées prennent le dessus. Je vois le visage de ma sœur ; brune avec des reflets roux, de légères tâches de rousseurs et des yeux bleus océan. Eden était belle, contrairement à moi, elle n'avait pas de petit copain mais de nombreux amis et une popularité assez élevé. Elle méritait de vivre. Pour ma part, mes amis étaient rares mais mon petit copain était si adorable... Il me suffisait, il représentait tout. Le visage de ma sœur est remplacé par le sien. Et je l'observe, dans mes pensées. Je le connais par cœur, chaque parcelle de son visage, chaque détail de sa personne, chaque facette de sa personnalité, chaque parole qui sortait comme une mélodie de sa bouche... Et mes souvenirs me reviennent en tête. Je devrais être en colère, le haïr et avoir tourné la page après ce qu'il m'a fait, ce que je lui ai fait, ce que nous nous sommes faits.
Et pourtant... Je me sens mal après le décès de ma famille et je suis consciente que la seule personne qui serait capable de me faire sourire et de me changer les idées, c'est lui. Et uniquement lui.

Le cours se termine dans 30 minutes, le temps semble s'éterniser. On toque à la porte mais je suis trop submergée par mes pensées, je n'entends que les murmures des souvenirs de sa voix. Jusqu'au moment où le professeur prend la parole et me tire de mon occupation. Je sursaute en entendant qu'elle énonce...son nom...son fameux nom complet...

- Ryan Weil, encore en retard.

Ma tête se relève instinctivement, j'entends le bourdonnement de mon pouls dans mes oreilles battant la chamade. Ma poitrine est compressée par un énorme poids formant un cailloux à l'intérieur de moi-même. La personne à laquelle je pense depuis son départ se trouve dans l'encadrement de la porte, un sourire niais sur le visage et les cheveux trempés par la pluie. Je suis tétanisée, la température de la salle semble avoir augmenté d'une vingtaine de degrés. La situation est tellement inattendue que ma bouche s'ouvre sans que quelque chose n'en sorte. Après un bref moment qui me paraît être une éternité, son sourire moqueur disparaît lorsque nos yeux se croisent. Mon cœur arrête sa course endiablée, il se bloque brusquement. Et subitement, l'atmosphère se glace, l'air se comprime. Je suffoque.

Worn heart ♡Où les histoires vivent. Découvrez maintenant