«- Tu voudrais bien jouer avec moi ?
-Je... Je ne joue pas...
-Mais c'est la récré !
-Je ne suis pas trop du genre à jouer en fait.
-Bah tu vas faire quoi alors ?
-Je vais lire mon livre...
-T'es vraiment bizarre, toi. Ils ont raison les autres. » Puis il s'en est allé.
J'étais harcelée quand j'étais en primaire. Je n'en ai jamais parlé à qui que ce soit. J'étais une petite fille normale. Je ne pense pas que j'étais déjà dans l'état dans lequel je me trouve actuellement. Je n'étais juste... pas dans la norme, j'imagine.
Aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours été dans des établissements privés. J'avais de bons résultats en classe. J'avais toujours quelque chose à faire en dehors des heures de cours, des choses à raconter en revenant à l'école. Mais certaines choses qui m'échappaient me valaient les moqueries de mes camarades.
Je n'étais pas très grande. Je ne le suis toujours pas d'ailleurs. Enfin, j'imagine que je suis dans la moyenne. Je mesure un peu moins d' 1m65 du haut de mes 17 ans. Ils se moquaient tous les jours de ma masse de boucles noires de geai. J'ai des yeux verts, une peau cuivrée, née d'une mère elle-même d'origine latino-américaine et amérindienne et d'un père français. Peut-être que ça jouait un peu en ma défaveur ça aussi, que sais-je ? Mais je crois que l'un de mes problèmes, c'est surtout que, jusqu'à maintenant, je ne pense pas comme eux.
Quand j'étais petite, je me souviens que j'allais m'asseoir dans un coin, à la récréation, là où il y avait le moins de chances pour que mes camarades me voient, puis je lisais, je dessinais ou je m'avançais dans mes devoirs. Ceux qui avaient le malheur de passer par là me regardaient bizarrement et se permettaient de faire de commentaires. Je me souviens encore, en CM2 : « Regarde-la. On a seulement dix minutes de pause et elle, elle travaille. Tu penses pas que t'en fais déjà assez comme ça ? » Quand l'heure du déjeuner arrivait, je m'asseyais seule, et ceux qui avait déjà tenté de s'asseoir avec moi, après une fois, ne revenaient plus. Va savoir pourquoi. C'est ma façon de parler qui leur faisait peur ? J'étais peut-être un peu avancée au niveau du langage à un certain âge, en effet... Ça figure encore sur certains de mes dossiers.
Quand est-ce que j'ai commencé à manifester les symptômes de trouble de la personnalité ? Je ne sais pas exactement. Je dirais, quand je suis entrée au collège. Au début, j'appréhendais juste le fait de me retrouver avec de nouvelles personnes, comme toute personne normale entrant dans un nouvel établissement scolaire. Puis c'est allé plus loin que ça. Tout d'abord, je me mettais au fond de la salle. Puis je participais un peu moins, voire plus du tout. J'avais une boule dans la gorge à chaque fois que je prenais la parole, en classe, devant un groupe de personnes, ou même en entretenant une discussion banale avec qui que ce soit. J'évitais tous les travaux de groupes. Même me lever pour aller au collège était un calvaire. Je n'étais l'amie de personne. Pas même l'ennemie. Je n'étais rien. Je me fondais sans le décor. Je me retrouvais en retrait, zigzaguant entre les groupes qui se formaient autour de moi. Et ils se riaient de mon sort, se moquaient de moi, ouvertement. Je les entendais dans la cour, dans les salles de classe. « Regardez-la, elle va pleurer ! » Ça les amusait. Les thérapeutes disent que j'ai tendance à exagérer les choses. Je n'y crois pas une seule seconde. Ils ne savent pas, eux. Ils n'étaient pas là. Ils ne voyaient pas.
Et puis il y a eu lui. J'ai eu le béguin pour lui. Près de six ans. Mais personne ne peut m'aimer, moi. Qui pourrait aimer quelqu'un comme moi ? De toute manière, ça ne m'intéresse plus maintenant. C'était avant que je tombe en dépression.

VOUS LISEZ
Broken
Teen FictionJe les regarde. Ils sont tous là, à parler de moi, je le sais. Je ne supporte pas leurs chuchotements, leurs regards de travers. Ils me disent tous bonjour, au revoir, avec leurs voix niaises et leurs sourires ironiques, dans le seul but de moquer...