Lullaby - Une histoire du Petit Chaperon rouge

Chapitre 1

Qui n'a jamais rêvé d'une vie de palace ? C'est vrai... Avoir des domestiques aux petits soins, une maison disproportionnée, de l'argent de poche à profusion et le moindre de ses caprices exaucé. Le rêve, pas vrai ?

Sans façon.

Mes camarades en rêvent, elles. Elles s'imaginent sans doute princesses désirées par les princes d'autres contrées ou stars idolâtrées. Je crois surtout que c'est une grande source d'ennui. Et je parle par expérience.

Lorsque j'y pense, leur naïveté me fait envie, parfois.

Je fixe longuement le plafond, lasse et épuisée. Je n'ai même pas le courage de me redresser pour éteindre le réveil qui sonne depuis longtemps déjà. Et pourtant, Dieu sait à quel point cette musique peut m'agacer de bon matin.

Une fois de plus, j'ai mal dormi. Un autre de ces cauchemars où je finis dévorée par un loup. Encore et toujours. Le pire dans cette histoire c'est que je sais pertinemment être en train de rêver. Je me souviens des rêves précédents dans les moindres détails ainsi que la façon dont les choses vont se terminer. Ils sont toujours identiques : une journée à la campagne à aider les parents à s'occuper de la ferme. Puis, lorsque la nuit vient à tomber et que je dois fermer la grange, le loup affamé apparait et me dévore.

Ce n'est pas faute d'avoir cherché maintes et maintes fois à lui échapper. Mais quoi que je fasse, il finit toujours par m'attraper. Au point que j'en suis venue à lui ouvrir moi-même la gueule et à plonger dedans. Histoire de mettre plus rapidement un terme à tout ceci.

Je sais, c'est ridicule.

En y repensant, j'aurais mieux fait d'écouter mon père lorsqu'il m'avait interdit de regarder La Bête du Gévaudan quand il est passé à la télé alors que j'étais très jeune. Pourquoi a-t-il fallu que je n'en fasse qu'à ma tête et que je me glisse derrière le canapé en cuir blanc pour épier en douce ? Je le regrette amèrement aujourd'hui.

Si cela ne tenait qu'à moi, je mettrais des baffes à la gamine insupportable que j'étais alors. Comme si...

Je m'étire dans les draps de soie. Il va falloir que je demande à en changer. Ce n'est pas pratique pour dormir, on glisse trop là-dedans. Mais allez comprendre cette envie des riches adultes d'exposer aux yeux de tous leur fortune en faisant des choses stupides comme dormir dans de la soie. Je n'en vois pas l'intérêt.

Sur le ventre, je saisis mon téléphone et mets un terme à cette horrible musique. Ce n'est pas que j'aime me torturer inutilement les oreilles mais je n'ai pas trouvé mieux pour m'obliger à me lever chaque matin. Une bonne musique me donnerait plutôt envie de l'écouter plus longtemps.

Je regarde l'heure. Sept heures. Malgré tout ça, j'ai encore le temps de traîner un peu. Ma joie est de courte durée. On frappe à la porte. Je feins de dormir, ignorant la deuxième salve de coups. Finalement, la porte s'ouvre dans le plus grand silence et une silhouette élancée se glisse dans la pièce jusqu'aux rideaux.

Une lumière aveuglante inonde la pièce. Je fais tout mon possible pour ne pas grimacer. Dormir... Je suis en train de dormir... Je la sens s'arrêter à côté du lit.

— Mademoiselle, il est l'heure de vous réveiller.

Ne surtout pas grimacer. Mais qu'est-ce que mes yeux brûlent ! Heureusement, ma volonté est plutôt forte.

Je l'entends soupirer devant mon manque flagrant de réaction.

— Si vos voulez faire semblant de dormir alors respirez au moins.

J'ouvre les yeux. Je me sens tellement bête. Je gémis en tournant le dos à l'indésirable et amoncèle les couvertures au-dessus de ma tête. Les derniers remparts avant l'inévitable. Enfin un peu d'obscurité !